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passibilité imposée. Le général donna du poing sur la balustrade… un cri étouffé retentit derrière la porte de la salle des pas perdus.

Le duc de Pluncey n’avait pas bronché, mais ses yeux devenus clairs se tournèrent vers les yeux devenus sombres de Bruno. La lutte était désormais finie entre ces deux passionnés.

Ce qui suivit fut indescriptible.

Le défenseur, malgré l’aveu, ne voulait pas perdre le bénéfice de sa défense et il s’établit un colloque effrayant. Bruno réfutait tous les arguments développés en sa faveur. L’avocat lui imposait silence en lui soutenant qu’il était innocent. Le discours s’acheva dans la confusion la plus étrange.

Bruno put s’adresser aux juges.

— Messieurs, dit-il d’un ton ferme, je suis un monstre ; je le reconnais et m’en fais gloire ! Voici la vérité : j’ai tué Barthelme parce que nous aimions, lors de mon séjour à Paris, la même femme. Ce n’était pas la duchesse de Pluncey, je le jure ; je ne vous la nommerai pas… Elle est morte. »

En prononçait ces paroles, il regardait le duc qui blêmissait.

— Elle est morte. Vous m’accusez d’avoir tous les vices, parce que je suis un idiot. Mon Dieu ! j’ai vécu comme tous les jeunes gens de mon âge ayant plus d’esprit que moi. J’ai fait l’amour et j’ai bu ce qui a égaré ma main souvent. »

Ici Bruno se mit à rire d’un rire atroce, ainsi que doivent rire les damnés !