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Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/161

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temple avec des yeux ailleurs. J’ai espéré, un instant, fuir en emmenant Bouchette comme un brin de muguet dans le porte-bouquet de la voiture. On irait s’échouer sur une plage déserte, avant les baigneurs, ou en pleine campagne pour lui entendre faire des réflexions amusantes ; Bouchette me boude. Elle est fâchée. On s’est mal séparés. J’étais nerveux. Je lui ai parlé durement. Je redoutais l’étreinte irrésistible qui l’empêcherait de m’échapper et ferait, enfin, de nous deux, le couple désassorti, mais rivé à la plus tyrannique des habitudes. Rien n’est traître comme la différence de classes, en amour. Instinctivement, Bouchette s’en rend compte. En outre, ce qu’elle désire est inadmissible, au moins pour moi. Elle ne reviendra peut-être jamais. Étrange sensation de délivrance !… J’aurais dû exiger son adresse, son véritable nom. Des lassitudes incompréhensibles me paralysent, maintenant. Je n’ai de volonté que pour goûter la douleur d’aimer l’autre sans aucun espoir.

…Et je pense à cette chose qui pousse peu à peu sur l’arbre mort, le platane décapité, cette tige naissante d’un vert pâle, terminée par l’embryon d’une feuille, de cette chose inouïe, de ce miracle de la résurrection végétale permettant au platane centenaire d’assister à l’éclosion de sa dernière branche. Je