Page:Rachilde - Refaire l’amour, 1928.djvu/49

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vins de mes vitrines. Ça fait riche… mais pas gai.

Je reçois peu. Je n’ai plus de parents. Pas d’ami digne de ce nom. Je travaille beaucoup et je gagne assez d’argent pour pouvoir m’amuser sans faire de dettes, car mes domestiques n’aiment pas les retards dans les paiements. Ils me l’ont déclaré. M’amuser ? Hum ! Est-ce que je me suis jamais amusé au sens réel du mot ?…

Ce soir, je manque d’appétit. Mes nerfs me barrent l’estomac de leur très redoutable nœud gordien. Il faudrait, pour dénouer cela, trancher dans le vif d’une décision, et je suis encore tout révolté de n’avoir pas su, au juste, ce que je voulais. Allons tout de même dîner, ne serait-ce que pour faire honneur à ma cuisinière.

Ma salle à manger, tendue de velours olive, est émaillée, comme la pelouse, au printemps, de fleurs de porcelaine, des assiettes de Chine de la dynastie rose. Les vitrines présentent, en des cadres de rigide ébène, l’argenterie choyée par Francine et, aux flammes coiffées des bougies, ses rayons glissent, jouent en cassures de satin pâle comme des robes de féeries, des écharpes ondulant, sous les frondaisons d’un parc, allant des gris de perle jusqu’au blanc bleu de la neige.