Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/166

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C’est ici quelquefois qu’il se cache à sa cour,
Lorsqu’il vient à la reine expliquer son amour.
De son appartement cette porte est prochaine,
Et cette autre conduit dans celui de la reine.
Va chez elle : dis-lui qu’importun à regret
J’ose lui demander un entretien secret.

ARSACE.

Vous, seigneur, importun ? vous, cet ami fidèle
Qu’un soin si généreux intéresse pour elle ?
Vous, cet Antiochus, son amant autrefois ?
Vous, que l’Orient compte entre ses plus grands rois ?
Quoi ! déjà de Titus épouse en espérance,
Ce rang entre elle et vous met-il tant de distance ?

ANTIOCHUS.

Va, dis-je ; et sans vouloir te charger d’autres soins,
Vois si je puis bientôt lui parler sans témoins.


Scène II.

ANTIOCHUS.

Eh bien ! Antiochus, es-tu toujours le même ?
Pourrai-je, sans trembler, lui dire : Je vous aime ?
Mais quoi ! déjà je tremble ; et mon cœur agité
Craint autant ce moment que je l’ai souhaité.
Bérénice autrefois m’ôta toute espérance ;
Elle m’imposa même un éternel silence.
Je me suis tu cinq ans ; et jusques à ce jour,
D’un voile d’amitié j’ai couvert mon amour.
Dois-je croire qu’au rang où Titus la destine
Elle m’écoute mieux que dans la Palestine ?
Il l’épouse. Ai-je donc attendu ce moment
Pour me venir encor déclarer son amant ?
Quel fruit me reviendra d’un aveu téméraire ?
Ah ! puisqu’il faut partir, partons sans lui déplaire.
Retirons-nous, sortons ; et, sans nous découvrir,
Allons loin de ses yeux l’oublier, ou mourir.
Eh quoi ! souffrir toujours un tourment qu’elle ignore !
Toujours verser des pleurs qu’il faut que je dévore !
Quoi ! même en la perdant redouter son courroux !
Belle reine, et pourquoi vous offenseriez-vous ?
Viens-je vous demander que vous quittiez l’empire ;
Que vous m’aimiez ? Hélas ! je ne viens que vous dire
Qu’après m’être longtemps flatté que mon rival
Trouverait à ses vœux quelque obstacle fatal ;
Aujourd’hui qu’il peut tout, que votre hymen s’avance ;
Exemple infortuné d’une longue constance,
Après cinq ans d’amour et d’espoir superflus,
Je pars, fidèle encor quand je n’espère plus.
Au lieu de s’offenser, elle pourra me plaindre.
Quoi qu’il en soit, parlons ; c’est assez nous contraindre :
Et que peut craindre, hélas ! un amant sans espoir
Qui peut bien se résoudre à ne la jamais voir ?


Scène III.

ANTIOCHUS, ARSACE.
ANTIOCHUS.

Arsace, entrerons-nous ?

ARSACE.

Arsace, entrerons-nous ? Seigneur, j’ai vu la reine :
Mais, pour me faire voir, je n’ai percé qu’à peine
Les flots toujours nouveaux d’un peuple adorateur
Qu’attire sur ses pas sa prochaine grandeur.
Titus, après huit jours d’une retraite austère,
Cesse enfin de pleurer Vespasien son père :
Cet amant se redonne aux soins de son amour ;
Et si j’en crois, seigneur, l’entretien de la cour,
Peut-être avant la nuit l’heureuse Bérénice
Change le nom de reine au nom d’impératrice.

ANTIOCHUS.

Hélas !

ARSACE.

Hélas ! Quoi ! ce discours pourrait-il vous troubler ?

ANTIOCHUS.

Ainsi donc, sans témoins je ne lui puis parler ?

ARSACE.

Vous la verrez, seigneur ; Bérénice est instruite
Que vous voulez ici la voir seule et sans suite.
La reine d’un regard a daigné m’avertir
Qu’à votre empressement elle allait consentir ;
Et sans doute elle attend le moment favorable
Pour disparaître aux yeux d’une cour qui l’accable.

ANTIOCHUS.

Il suffit. Cependant n’as-tu rien négligé
Des ordres importants dont je t’avais chargé ?

ARSACE.

Seigneur, vous connaissez ma prompte obéissance.
Des vaisseaux dans Ostie armés en diligence,
Prêts à quitter le port de moments en moments,
N’attendent pour partir que vos commandements.
Mais qui renvoyez-vous dans votre Comagène ?

ANTIOCHUS.

Arsace, il faut partir quand j’aurai vu la reine.

ARSACE.

Qui doit partir ?

ANTIOCHUS.

Qui doit partir ? Moi.

ARSACE.

Qui doit partir ? Moi. Vous ?

ANTIOCHUS.

Qui doit partir ? Moi. Vous ? En sortant du palais,
Je sors de Rome, Arsace, et j’en sors pour jamais.

ARSACE.

Je suis surpris, sans doute, et c’est avec justice.
Quoi ! depuis si longtemps la reine Bérénice
Vous arrache, seigneur, du sein de vos États ;