Aller au contenu

Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Un grand peuple les suit, qui, plein d’impatience,
Dans votre appartement attend votre présence.

TITUS.

Je vous entends, grands dieux ! vous voulez rassurer
Ce cœur que vous voyez tout prêt à s’égarer !

PAULIN.

Venez, seigneur, passons dans la chambre prochaine :
Allons voir le sénat.

ANTIOCHUS.

Allons voir le sénat. Ah ! courez chez la reine.

PAULIN.

Quoi ! vous pourriez, seigneur, par cette indignité,
De l’empire à vos pieds fouler la majesté ?
Rome…

TITUS.

Rome… Il suffit, Paulin ; nous allons les entendre.

(à Antiochus.)
Prince, de ce devoir je ne puis me défendre.

Voyez la reine. Allez. J’espère, à mon retour,
Qu’elle ne pourra plus douter de mon amour.








Scène première.

ARSACE.

Où pourrai-je trouver ce prince trop fidèle ?
Ciel, conduisez mes pas, et secondez mon zèle :
Faites qu’en ce moment je lui puisse annoncer
Un bonheur où peut-être il n’ose plus penser !


Scène II.

ANTIOCHUS, ARSACE.
ARSACE.

Ah ! quel heureux destin en ces lieux vous renvoie,
Seigneur ?

ANTIOCHUS.

Seigneur ? Si mon retour t’apporte quelque joie,
Arsace, rends-en grâce à mon seul désespoir.

ARSACE.

La reine part, seigneur.

ANTIOCHUS.

La reine part, seigneur. Elle part ?

ARSACE.

La reine part, seigneur. Elle part ? Dès ce soir :
Ses ordres sont donnés. Elle s’est offensée
Que Titus à ses pleurs l’ait si longtemps laissée.
Un généreux dépit succède à sa fureur :
Bérénice renonce à Rome, à l’empereur ;
Et même veut partir avant que Rome instruite
Puisse voir son désordre et jouir de sa fuite.
Elle écrit à César.

ANTIOCHUS.

Elle écrit à César. Ô ciel ! qui l’aurait cru ?
Et Titus ?

ARSACE.

Et Titus ? À ses yeux Titus n’a point paru.
Le peuple avec transport l’arrête et l’environne,
Applaudissant aux noms que le sénat lui donne ;
Et ces noms, ces respects, ces applaudissements,
Deviennent pour Titus autant d’engagements
Qui, le liant, seigneur, d’une honorable chaîne,
Malgré tous ses soupirs et les pleurs de la reine,
Fixent dans son devoir ses vœux irrésolus.
C’en est fait : et peut-être il ne la verra plus.

ANTIOCHUS.

Que de sujets d’espoir, Arsace ! je l’avoue :
Mais d’un soin si cruel la fortune me joue.
J’ai vu tous mes projets tant de fois démentis,
Que j’écoute en tremblant tout ce que tu me dis ;
Et mon cœur, prévenu d’une crainte importune,
Croit, même en espérant, irriter la fortune.
Mais que vois-je ? Titus porte vers nous ses pas !
Que veut-il ?


Scène III.

TITUS, ANTIOCHUS, ARSACE.
TITUS, à sa suite.

Que veut-il ? Demeurez : qu’on ne me suive pas.

(à Antiochus.)
Enfin, prince, je viens dégager ma promesse.

Bérénice m’occupe et m’afflige sans cesse.
Je viens, le cœur percé de vos pleurs et des siens,
Calmer des déplaisirs moins cruels que les miens.
Venez, prince, venez : je veux bien que vous-même
Pour la dernière fois vous voyiez si je l’aime.


Scène IV.

ANTIOCHUS, ARSACE.
ANTIOCHUS.

Eh bien, voilà l’espoir que tu m’avais rendu !
Et tu vois le triomphe où j’étais attendu !
Bérénice partait justement irritée !
Pour ne la plus revoir, Titus l’avait quittée !
Qu’ai-je donc fait, grands dieux ! Quel cours infortuné
À ma funeste vie aviez-vous destiné ?
Tous mes moments ne sont qu’un éternel passage
De la crainte à l’espoir, de l’espoir à la rage.
Et je respire encor ! Bérénice ! Titus !
Dieux cruels ! de mes pleurs vous ne vous rirez plus.