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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/199

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Mais, madame, un esclave arrive de l’armée ;
Et quoique sur la mer la porte fût fermée,
Les gardes, sans tarder, l’ont ouverte à genoux,
Aux ordres du sultan qui s’adressent à vous.
Mais ce qui me surprend, c’est Orcan qu’il envoie.

ROXANE.

Orcan !

ZATIME.

Orcan ! Oui, de tous ceux que le sultan emploie,
Orcan, le plus fidèle à servir ses desseins,
Né sous le ciel brûlant des plus noirs Africains.
Madame, il vous demande avec impatience.
Mais j’ai cru vous devoir avertir par avance ;
Et souhaitant surtout qu’il ne vous surprît pas,
Dans votre appartement j’ai retenu ses pas.

ROXANE.

Quel malheur imprévu vient encor me confondre ?
Quel peut être cet ordre ? et que puis-je répondre ?
Il n’en faut point douter, le sultan inquiet
Une seconde fois condamne Bajazet.
On ne peut sur ses jours sans moi rien entreprendre :
Tout m’obéit ici. Mais dois-je le défendre ?
Quel est mon empereur ? Bajazet ? Amurat ?
Jai trahi l’un ; mais l’autre est peut-être un ingrat.
Le temps presse. Que faire en ce doute funeste ?
Allons, employons bien le moment qui nous reste.
Ils ont beau se cacher, l’amour le plus discret
Laisse par quelque marque échapper son secret.
Observons Bajazet ; étonnons Atalide ;
Et couronnons l’amant, ou perdons le perfide.








Scène première.

ATALIDE, ZAÏRE.
ATALIDE.

Ah ! sais-tu mes frayeurs ? sais-tu que dans ces lieux
J’ai vu du fier Orcan le visage odieux ?
En ce moment fatal, que je crains sa venue !
Que je crains… Mais, dis-moi, Bajazet t’a-t-il vue ?
Qu’a-t-il dit ? se rend-il, Zaïre, à mes raisons ?
Ira-t-il voir Roxane, et calmer ses soupçons ?

ZAÏRE.

Il ne peut plus la voir sans qu’elle le commande :
Roxane ainsi l’ordonne, elle veut qu’il l’attende.
Sans doute à cet esclave elle veut le cacher.
J’ai feint en le voyant de ne le point chercher.
J’ai rendu votre lettre, et j’ai pris sa réponse.
Madame, vous verrez ce qu’elle vous annonce.

ATALIDE, lit :

« Après tant d’injustes détours,

« Faut-il qu’à feindre encor votre amour me convie !

« Mais je veux bien prendre soin d’une vie
« Dont vous jurez que dépendent vos jours:

« Je verrai la sultane; et, par ma complaisance,
« Par de nouveaux serments de ma reconnaissance,

« J’apaiserai, si je puis, son courroux.

« N’exigez rien de plus : ni la mort, ni vous-même
« Ne me ferez jamais prononcer que je l’aime,

« Puisque jamais je n’aimerai que vous. »

Hélas ! que me dit-il ? croit-il que je l’ignore ?
Ne sais-je pas assez qu’il m’aime, qu’il m’adore ?
Est-ce ainsi qu’à mes vœux il sait s’accommoder ?
C’est Roxane, et non moi, qu’il faut persuader.
De quelle crainte encor me laisse-t-il saisie !
Funeste aveuglement ! perfide jalousie !
Récit menteur, soupçons que je n’ai pu celer,
Fallait-il vous entendre, ou fallait-il parler !
C’était fait, mon bonheur surpassait mon attente:
J’étais aimée, heureuse; et Roxane contente.
Zaïre, s’il se peut, retourne sur tes pas :
Qu’il l’apaise. Ces mots ne me suffisent pas :
Que sa bouche, ses yeux, tout l’assure qu’il l’aime :
Qu’elle le croie enfin. Que ne puis-je moi-même,
Échauffant par mes pleurs ses soins trop languissants,
Mettre dans ses discours tout l’amour que je sens !
Mais à d’autres périls je crains de le commettre.

ZAÏRE.

Roxane vient à vous.

ATALIDE.

Roxane vient à vous. Ah ! cachons cette lettre !


Scène II.

ROXANE, ATALIDE, ZATIME, ZAÏRE.
ROXANE, à Zatime.

Viens. J’ai reçu cet ordre. Il faut l’intimider.

ATALIDE, à Zaïre.

Va, cours ; et tâche enfin de le persuader.


Scène III.

ROXANE, ATALIDE, ZATIME.
ROXANE.

Madame, j’ai reçu des lettres de l’armée.
De tout ce qui s’y passe êtes-vous informée ?

ATALIDE.

On m’a dit que du camp un esclave est venu :
Le reste est un secret qui ne m’est pas connu.

ROXANE.

Amurat est heureux : la fortune est changée,
Madame, et sous ses lois Babylone est rangée.