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commandement de par le roy qu’elle eust à mourir, adonc elle s’arracha d’alentour de la teste son bandeau royal, et se le nouant alentour du col, s’en pendit. Mais le bandeau ne feut pas assez fort, et se rompit incontinent. Et alors elle se print à dire : « Ô mauldict et malheureux tissu, ne me serviras tu point au moins à ce triste service ? » En disant ces paroles, elle le iecta contre terre, crachant dessus, et tendit la gorge à l’eunuque[1]. »

Xipharès était fils de Mithridate et d’une de ses femmes qui se nommait Stratonice. Elle livra aux Romains une place de grande importance, où étaient les trésors de Mithridate, pour mettre son fils Xipharès dans les bonnes grâces de Pompée. Il y a des historiens qui prétendent que Mithridate fit mourir ce jeune prince pour se venger de la perfidie de sa mère.

Je ne dis rien de Pharnace, car qui ne sait pas que ce fut lui qui souleva contre Mithridate ce qui lui restait de troupes, et qui força ce prince à se vouloir empoisonner, et à se passer son épée au travers du corps pour ne pas tomber entre les mains de ses ennemis ? C’est ce même Pharnace qui fut vaincu depuis par Jules César, et qui fut tué ensuite dans une autre bataille.


PERSONNAGES.
MITHRIDATE, roi de Pont et de quantité d’autres royaumes.
MONIME, accordée avec Mithridate, et déjà déclarée reine.
PHARNACE,
XIPHARÈS,
fils de Mithridate, mais de différentes mères.
ARBATE, confident de Mithridate, et gouverneur de la place de Nymphée.
PHŒDIME, confidente de Monime.
ARCAS, domestique de Mithridate.
Gardes.


La scène est à Nymphée, port de mer sur le Bosphore Cimmérien, dans la Chersonèse Taurique.




ACTE PREMIER.




Scène première.

XIPHARÈS, ARBATE.
XIPHARÈS.

On nous faisait, Arbate, un fidèle rapport :
Rome en effet triomphe, et Mithridate est mort.
Les Romains, vers l’Euphrate, ont attaqué mon père,
Et trompé dans la nuit sa prudence ordinaire.
Après un long combat, tout son camp dispersé
Dans la foule des morts, en fuyant, l’a laissé ;
Et j’ai su qu’un soldat dans les mains de Pompée
Avec son diadème a remis son épée.
Ainsi ce roi, qui seul a, durant quarante ans,
Lassé tout ce que Rome eut de chefs importants,
Et qui, dans l’Orient balançant la fortune,
Vengeait de tous les rois la querelle commune,
Meurt, et laisse après lui, pour venger son trépas,
Deux fils infortunés qui ne s’accordent pas.

ARBATE.

Vous, seigneur ! Quoi ! l’ardeur de régner en sa place
Rend déjà Xipharès ennemi de Pharnace ?

XIPHARÈS.

Non, je ne prétends point, cher Arbate, à ce prix,
D’un malheureux empire acheter les débris.
Je sais en lui des ans respecter l’avantage ;
Et, content des États marqués pour mon partage,
Je verrai sans regret tomber entre ses mains
Tout ce que lui promet l’amitié des Romains.

ARBATE.

L’amitié des Romains ! Le fils de Mithridate,
Seigneur ! Est-il bien vrai ?

XIPHARÈS.

Seigneur ! Est-il bien vrai ? N’en doute point, Arbate :
Pharnace, dès longtemps tout Romain dans le cœur,
Attend tout maintenant de Rome et du vainqueur.
Et moi, plus que jamais à mon père fidèle,
Je conserve aux Romains une haine immortelle.
Cependant et ma haine et ses prétentions
Sont les moindres sujets de nos divisions.

ARBATE.

Et quel autre intérêt contre lui vous anime ?

XIPHARÈS.

Je m’en vais t’étonner : cette belle Monime,
Qui du roi notre père attira tous les vœux,
Dont Pharnace, après lui, se déclare amoureux…

ARBATE.

Eh bien, seigneur ?

XIPHARÈS.

Eh bien, seigneur ? Je l’aime : et ne veux plus m’en taire,
Puisque enfin pour rival je n’ai plus que mon frère.
Tu ne t’attendais pas, sans doute, à ce discours ;
Mais ce n’est point, Arbate, un secret de deux jours.
Cet amour s’est longtemps accru dans le silence.
Que n’en puis-je à tes yeux marquer la violence,
Et mes premiers soupirs, et mes derniers ennuis !
Mais, en l’état funeste où nous sommes réduits,
Ce n’est guère le temps d’occuper ma mémoire
À rappeler le cours d’une amoureuse histoire.
Qu’il te suffise donc, pour me justifier,
Que je vis, que j’aimai la reine le premier ;
Que mon père ignorait jusqu’au nom de Monime
Quand je conçus pour elle un amour légitime.
Il la vit. Mais au lieu d’offrir à ses beautés
Un hymen, et des vœux dignes d’être écoutés,
Il crut que, sans prétendre une plus haute gloire,
Elle lui céderait une indigne victoire.
Tu sais par quels efforts il tenta sa vertu ;
Et que, lassé d’avoir vainement combattu,

  1. Plutarque, Vie de Lucullus.