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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/211

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Jamais hymen formé sous le plus noir auspice
De l’hymen que je crains n’égala le supplice.
Et si Monime en pleurs ne vous peut émouvoir,
Si je n’ai plus pour moi que mon seul désespoir,
Au pied du même autel où je suis attendue,
Seigneur, vous me verrez, à moi-même rendue,
Percer ce triste cœur qu’on veut tyranniser,
Et dont jamais encor je n’ai pu disposer.

XIPHARÈS.

Madame, assurez-vous de mon obéissance ;
Vous avez dans ces lieux une entière puissance :
Pharnace ira, s’il veut, se faire craindre ailleurs.
Mais vous ne savez pas encor tous vos malheurs.

MONIME.

Hé ! quel nouveau malheur peut affliger Monime,
Seigneur ?

XIPHARÈS.

Seigneur ? Si vous aimer c’est faire un si grand crime,
Pharnace n’en est pas seul coupable aujourd’hui ;
Et je suis mille fois plus criminel que lui.

MONIME.

Vous !

XIPHARÈS.

Vous ! Mettez ce malheur au rang des plus funestes ;
Attestez, s’il le faut, les puissances célestes
Contre un sang malheureux, né pour vous tourmenter,
Père, enfants, animés à vous persécuter ;
Mais avec quelque ennui que vous puissiez apprendre
Cet amour criminel qui vient de vous surprendre,
Jamais tous vos malheurs ne sauraient approcher
Des maux que j’ai soufferts en le voulant cacher.
Ne croyez point pourtant que, semblable à Pharnace,
Je vous serve aujourd’hui pour me mettre en sa place :
Vous voulez être à vous, j’en ai donné ma foi,
Et vous ne dépendrez ni de lui ni de moi.
Mais quand je vous aurai pleinement satisfaite,
En quels lieux avez-vous choisi votre retraite ?
Sera-ce loin, madame, ou près de mes États ?
Me sera-t-il permis d’y conduire vos pas ?
Verrez-vous d’un même œil le crime et l’innocence ?
En fuyant mon rival, fuirez-vous ma présence ?
Pour prix d’avoir si bien secondé vos souhaits,
Faudra-t-il me résoudre à ne vous voir jamais ?

MONIME.

Ah ! que m’apprenez-vous !

XIPHARÈS.

Ah ! que m’apprenez-vous ! Eh quoi ! belle Monime,
Si le temps peut donner quelque droit légitime,
Faut-il vous dire ici que le premier de tous
Je vous vis, je formai le dessein d’être à vous,
Quand vos charmes naissants, inconnus à mon père,
N’avaient encor paru qu’aux yeux de votre mère ?
Ah ! si par mon devoir forcé de vous quitter,
Tout mon amour alors ne put pas éclater,
Ne vous souvient-il plus, sans compter tout le reste,
Combien je me plaignis de ce devoir funeste ?
Ne vous souvient-il plus, en quittant vos beaux yeux,
Quelle vive douleur attendrit mes adieux ?
Je m’en souviens tout seul : avouez-le, madame,
Je vous rappelle un songe effacé de votre âme.
Tandis que, loin de vous, sans espoir de retour,
Je nourrissais encore un malheureux amour,
Contente, et résolue à l’hymen de mon père,
Tous les malheurs du fils ne vous affligeaient guère.

MONIME.

Hélas !

XIPHARÈS.

Hélas ! Avez-vous plaint un moment mes ennuis ?

MONIME.

Prince… n’abusez point de l’état où je suis.

XIPHARÈS.

En abuser, ô ciel ! quand je cours vous défendre,
Sans vous demander rien, sans oser rien prétendre ;
Que vous dirai-je enfin ? lorsque je vous promets
De vous mettre en état de ne me voir jamais !

MONIME.

C’est me promettre plus que vous ne sauriez faire.

XIPHARÈS.

Quoi ! malgré mes serments, vous croyez le contraire ?
Vous croyez qu’abusant de mon autorité
Je prétends attenter à votre liberté ?
On vient, madame, on vient : expliquez-vous, de grâce ;
Un mot.

MONIME.

Un mot. Défendez-moi des fureurs de Pharnace :
Pour me faire, seigneur, consentir à vous voir,
Vous n’aurez pas besoin d’un injuste pouvoir.

XIPHARÈS.

Ah, madame !

MONIME.

Ah, madame ! Seigneur, vous voyez votre frère.


Scène III.

MONIME, PHARNACE, XIPHARÈS.
PHARNACE.

Jusques à quand, madame, attendrez-vous mon père ?
Des témoins de sa mort viennent à tous moments
Condamner votre doute et vos retardements.
Venez ; fuyez l’aspect de ce climat sauvage
Qui ne parle à vos yeux que d’un triste esclavage :
Un peuple obéissant vous attend à genoux,
Sous un ciel plus heureux et plus digne de vous.
Le Pont vous reconnaît dès longtemps pour sa reine :
Vous en portez encor la marque souveraine ;
Et ce bandeau royal fut mis sur votre front
Comme un gage assuré de l’empire du Pont.