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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/286

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ÉLISE.

Je n’admirai jamais la gloire de l’impie.

UNE AUTRE ISRAÉLITE.

Au bonheur du méchant qu’une autre porte envie.

ÉLISE.

Tous ses jours paraissent charmants ;
L’or éclate en ses vêtements ;
Son orgueil est sans borne ainsi que sa richesse ;
Jamais l’air n’est troublé de ses gémissements ;
Il s’endort, il s’éveille au son des instruments ;
Son cœur nage dans la mollesse.

UNE AUTRE ISRAÉLITE.

Pour comble de prospérité,
Il espère revivre en sa postérité ;
Et d’enfants à sa table une riante troupe
Semble boire avec lui la joie à pleine coupe.

(Tout le reste est chanté.)
LE CHŒUR.

Heureux, dit-on, le peuple florissant
Sur qui ces biens coulent en abondance !
Plus heureux le peuple innocent
Qui dans le Dieu du ciel a mis sa confiance !

UNE ISRAÉLITE, seule.

Pour contenter ses frivoles désirs
L’homme insensé vainement se consume :
Il trouve l’amertume
Au milieu des plaisirs.

UNE AUTRE, seule.

Le bonheur de l’impie est toujours agité ;
Il erre à la merci de sa propre inconstance.
Ne cherchons la félicité
Que dans la paix de l’innocence.

LA MÊME, avec une autre.

Ô douce paix !
Ô lumière éternelle !
Beauté toujours nouvelle !
Heureux le cœur épris de tes attraits !
Ô douce paix !
Ô lumière éternelle !
Heureux le cœur qui ne te perd jamais !

LE CHŒUR.

Ô douce paix !
Ô lumière éternelle !
Beauté toujours nouvelle !
Ô douce paix !
Heureux le cœur qui ne te perd jamais !

LA MÊME, seule.

Nulle paix pour l’impie : il la cherche, elle fuit ;
Et le calme en son cœur ne trouve point de place :
Le glaive au dehors le poursuit ;
Le remords au dedans le glace.

UNE AUTRE.

La gloire des méchants en un moment s’éteint :
L’affreux tombeau pour jamais les dévore.
Il n’en est pas ainsi de celui qui te craint.
Il renaîtra, mon Dieu, plus brillant que l’aurore.

LE CHŒUR.

Ô douce paix !
Heureux le cœur qui ne te perd jamais !

ÉLISE, sans chanter.

Mes sœurs, j’entends du bruit dans la chambre prochaine.
On nous appelle : allons rejoindre notre reine.




ACTE TROISIÈME.


Le théâtre représente les jardins d’Esther, et un des côtés du salon où se fait le festin.





Scène première.

AMAN, ZARÈS.
ZARÈS.

C’est donc ici d’Esther le superbe jardin ;
Et ce salon pompeux est le lieu du festin ?
Mais tandis que la porte en est encor fermée,
Écoutez les conseils d’une épouse alarmée.
Au nom du sacré nœud qui me lie avec vous,
Dissimulez, seigneur, cet aveugle courroux ;
Éclaircissez ce front où la tristesse est peinte :
Les rois craignent surtout le reproche et la plainte.
Seul entre tous les grands par la reine invité,
Ressentez donc aussi cette félicité.
Si le mal vous aigrit, que le bienfait vous touche.
Je l’ai cent fois appris de votre propre bouche :
Quiconque ne sait pas dévorer un affront,
Ni de fausses couleurs se déguiser le front,
Loin de l’aspect des rois qu’il s’écarte, qu’il fuie.
Il est des contre-temps qu’il faut qu’un sage essuie :
Souvent avec prudence un outrage enduré
Aux honneurs les plus hauts a servi de degré.

AMAN.

Ô douleur, ô supplice affreux à la pensée !
Ô honte, qui jamais ne peut être effacée !
Un exécrable Juif, l’opprobre des humains,
S’est donc vu de la pourpre habillé par mes mains !
C’est peu qu’il ait sur moi remporté la victoire ;
Malheureux, j’ai servi de héraut à sa gloire !
Le traître, il insultait à ma confusion ;
Et tout le peuple même, avec dérision
Observant la rougeur qui couvrait mon visage,
De ma chute certaine en tirait le présage.
Roi cruel, ce sont là les jeux où tu te plais !
Tu ne m’as prodigué tes perfides bienfaits
Que pour me faire mieux sentir ta tyrannie
Et m’accabler enfin de plus d’ignominie.