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ÉLISE.

Peut-on, en le voyant, ne le connaître pas !
L’orgueil et le dédain sont peints sur son visage.

UNE ISRAÉLITE.

On lit dans ses regards sa fureur et sa rage.

UNE AUTRE.

Je croyais voir marcher la mort devant ses pas.

UNE DES PLUS JEUNES.

Je ne sais si ce tigre a reconnu sa proie :
Mais, en nous regardant, mes sœurs, il m’a semblé
Qu’il avait dans les yeux une barbare joie
Dont tout mon sang est encore troublé.

ÉLISE.

Que ce nouvel honneur va croître son audace !
Je le vois, mes sœurs, je le voi :
À la table d’Esther l’insolent près du roi
A déjà pris sa place.

UNE DES ISRAÉLITES.

Ministres du festin, de grâce, dites-nous,
Quels mets à ce cruel, quel vin préparez-vous ?

UNE AUTRE.

Le sang de l’orphelin,

UNE TROISIÈME.

Le sang de l’orphelin, Les pleurs des misérables,

LA SECONDE.

Sont ses mets les plus agréables ;

LA TROISIÈME.

C’est son breuvage le plus doux.

ÉLISE.

Chères sœurs, suspendez la douleur qui vous presse.
Chantons, on nous l’ordonne, et que puissent nos chants
Du cœur d’Assuérus adoucir la rudesse,
Comme autrefois David, par ses accords touchants,
Calmait d’un roi jaloux la sauvage tristesse !

(Tout le reste de cette scène est chanté.)
UNE ISRAÉLITE.

Que le peuple est heureux
Lorsqu’un roi généreux,
Craint dans tout l’univers, veut encore qu’on l’aime !
Heureux le peuple ! heureux le roi lui-même !

TOUT LE CHŒUR.

Ô repos ! ô tranquillité !
Ô d’un parfait bonheur assurance éternelle,
Quand la suprême autorité
Dans ses conseils a toujours auprès d’elle
La justice et la vérité !

(Ces quatre stances sont chantées alternativement par une voix seule et par tout le chœur.)
UNE ISRAÉLITE.

Rois, chassez la calomnie :
Ses criminels attentats
Des plus paisibles États
Troublent l’heureuse harmonie.

Sa fureur, de sang avide,
Poursuit partout l’innocent.
Rois, prenez soin de l’absent
Contre sa langue homicide.

De ce monstre si farouche
Craignez la feinte douceur :
La vengeance est dans son cœur,
Et la pitié dans sa bouche.

La fraude adroite et subtile
Sème de fleurs son chemin :
Mais sur ses pas vient enfin
Le repentir inutile.

UNE ISRAÉLITE, seule.

D’un souffle l’aquilon écarte les nuages,
Et chasse au loin la foudre et les orages.
Un roi sage, ennemi du langage menteur,
Écarte d’un regard le perfide imposteur.

UNE AUTRE.

J’admire un roi victorieux,
Que sa valeur conduit triomphant en tous lieux ;
Mais un roi sage et qui hait l’injustice,
Qui sous la loi du riche impérieux
Ne souffre point que le pauvre gémisse,
Est le plus beau présent des cieux.

UNE AUTRE.

La veuve en sa défense espère.

UNE AUTRE.

De l’orphelin il est le père.

TOUTES ENSEMBLE.

Et les larmes du juste implorant son appui
Sont précieuses devant lui.

UNE ISRAÉLITE, seule.

Détourne, roi puissant, détourne tes oreilles
De tout conseil barbare et mensonger.
Il est temps que tu t’éveilles :
Dans le sang innocent ta main va se plonger
Pendant que tu sommeilles.
Détourne, roi puissant, détourne tes oreilles
De tout conseil barbare et mensonger.

UNE AUTRE.

Ainsi puisse sous toi trembler la terre entière !
Ainsi puisse à jamais contre tes ennemis
Le bruit de ta valeur te servir de barrière !
S’ils t’attaquent, qu’ils soient en un moment soumis ;
Que de ton bras la force les renverse ;
Que de ton nom la terreur les disperse :
Que tout leur camp nombreux soit devant tes soldats
Comme d’enfants une troupe inutile ;
Et si par un chemin il entre en tes États,
Qu’il en sorte par plus de mille.