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Page:Racine - Œuvres, Didot, 1854.djvu/64

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De soutenir leur choc de toute sa puissance.
Par son ordre, seigneur, je vous viens avertir.

POLYNICE.

Ah ! les traîtres ! Allons, Hémon, il faut sortir.

(À la reine.)
Madame, vous voyez comme il tient sa parole :

Mais il veut le combat, il m’attaque, et j’y vole.

JOCASTE.

Polynice ! Mon fils !… Mais il ne m’entend plus :
Aussi bien que mes pleurs, mes cris sont superflus.
Chère Antigone, allez, courez à ce barbare :
Du moins, allez prier Hémon qu’il les sépare.
La force m’abandonne, et je n’y puis courir ;
Tout ce que je puis faire, hélas ! c’est de mourir.







Scène première.

JOCASTE, OLYMPE.
JOCASTE.

Olympe, va-t’en voir ce funeste spectacle ;
Va voir si leur fureur n’a point trouvé d’obstacle,
Si rien n’a pu toucher l’un ou l’autre parti.
On dit qu’à ce dessein Ménécée est sorti.

OLYMPE.

Je ne sais quel dessein animait son courage,
Une héroïque ardeur brillait sur son visage ;
Mais vous devez, madame, espérer jusqu’au bout.

JOCASTE.

Va tout voir, chère Olympe, et me viens dire tout ;
Éclaircis promptement ma triste inquiétude.

OLYMPE.

Mais vous dois-je laisser en cette solitude ?

JOCASTE.

Va : je veux être seule en l’état où je suis,
Si toutefois on peut l’être avec tant d’ennuis !


Scène II.

JOCASTE.

Dureront-ils toujours ces ennuis si funestes ?
N’épuiseront-ils point les vengeances célestes ?
Me feront-ils souffrir tant de cruels trépas,
Sans jamais au tombeau précipiter mes pas ?
Ô ciel, que tes rigueurs seraient peu redoutables,
Si la foudre d’abord accablait les coupables !
Et que tes châtiments paraissent infinis,
Quand tu laisses la vie à ceux que tu punis !
Tu ne l’ignores pas, depuis le jour infâme
Où de mon propre fils je me trouvai la femme,
Le moindre des tourments que mon cœur a soufferts
Égale tous les maux que l’on souffre aux enfers.
Et toutefois, ô dieux, un crime involontaire
Devait-il attirer toute votre colère ?
Le connaissais-je, hélas ! ce fils infortuné ?
Vous-mêmes dans mes bras vous l’avez amené.
C’est vous dont la rigueur m’ouvrit ce précipice.
Voilà de ces grands dieux la suprême justice !
Jusques au bord du crime ils conduisent nos pas ;
Ils nous le font commettre, et ne l’excusent pas !
Prennent-ils donc plaisir à faire des coupables,
Afin d’en faire, après, d’illustres misérables ?
Et ne peuvent-ils point, quand ils sont en courroux,
Chercher des criminels à qui le crime est doux ?


Scène III.

JOCASTE, ANTIGONE.
JOCASTE.

Eh bien ! en est-ce fait ? L’un ou l’autre perfide
Vient-il d’exécuter son noble parricide ?
Parlez, parlez, ma fille.

ANTIGONE.

Parlez, parlez, ma fille. Ah ! madame, en effet,
L’oracle est accompli, le ciel est satisfait.

JOCASTE.

Quoi ! mes deux fils sont morts !

ANTIGONE.

Quoi ! mes deux fils sont morts ! Un autre sang, madame,
Rend la paix à l’État et le calme à votre âme ;
Un sang digne des rois dont il est découlé,
Un héros pour l’État s’est lui-même immolé.
Je courais pour fléchir Hémon et Polynice ;
Ils étaient déjà loin avant que je sortisse :
Ils ne m’entendaient plus ; et mes cris douloureux
Vainement par leur nom les rappelaient tous deux.
Ils ont tous deux volé vers le champ de bataille ;
Et moi, je suis montée au haut de la muraille,
D’où le peuple étonné regardait, comme moi,
L’approche d’un combat qui le glaçait d’effroi.
À cet instant fatal, le dernier de nos princes,
L’honneur de notre sang, l’espoir de nos provinces,
Ménécée, en un mot, digne frère d’Hémon,
Et trop indigne aussi d’être fils de Créon,
De l’amour du pays montrant son âme atteinte,
Au milieu des deux camps s’est avancé sans crainte ;
Et se faisant ouïr des Grecs et des Thébains :
« Arrêtez, a-t-il dit, arrêtez, inhumains ! »
Ces mots impérieux n’ont point trouvé d’obstacle :
Les soldats, étonnés de ce nouveau spectacle,
De leur noire fureur ont suspendu le cours ;
Et ce prince aussitôt poursuivant son discours :
« Apprenez, a-t-il dit, l’arrêt des destinées,