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ANDROMAQUE

Auroit-elle oublié vos services passés ?
Troie, Hector contre vous révoltent-ils son âme ?
Aux cendres d’un époux doit-elle enfin sa flamme ?
Et quel époux encore ! Ah ! souvenir cruel !
360Sa mort seule a rendu votre père immortel.
Il doit au sang d’Hector tout l’éclat de ses armes,
Et vous n’êtes tous deux connus que par mes larmes.

PYRRHUS.

Hé bien, Madame, hé bien, il faut vous obéir :
Il faut vous oublier, ou plutôt vous haïr.
365Oui, mes vœux ont trop loin poussé leur violence
Pour ne plus s’arrêter que dans l’indifférence.
Songez-y bien : il faut désormais que mon cœur,
S’il n’aime avec transport, haïsse avec fureur.
Je n’épargnerai rien dans ma juste colère :
370Le fils me répondra des mépris de la mère ;
La Grèce le demande, et je ne prétends pas
Mettre toujours ma gloire à sauver des ingrats[1].

ANDROMAQUE.

Hélas ! il mourra donc. Il n’a pour sa défense
Que les pleurs de sa mère, et que son innocence.
375Et peut-être après tout, en l’état où je suis,
Sa mort avancera la fin de mes ennuis.
Je prolongeois pour lui ma vie et ma misère[2] ;

  1. Grimoald, dans Pertharite, irrité des refus de Rodelinde, lui fait des menaces semblables :

    · · · · · · · · · Puisqu’on me méprise,
    Je deviendrai tyran de qui me tyrannise,
    Et ne souffrirai plus qu’une indigne fierté
    Se joue impunément de mon trop de bonté.

    (Pertharite, vers 727-730.)
  2. Jam erepta Danais conjugem sequerer meum,
    Nisi hic teneret : hic meos animos domat,
    Morique prohibet · · · · · · · · · · · ·
    · · · · · · · · Tempus ærummæ addidit.

    (Troyennes de Sénèque, vers 419-422.)