Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/197

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Et mon cœur, auſſi fier que tu l’as veû ſoûmis,
Croit avoir en l’Amour vaincu mille Ennemis.
Conſidere, Phœnix, les troubles que j’évite,
Quelle foule de maux l’Amour traiſne à ſa ſuite,
Que d’Amis, de devoirs, j’allois ſacrifier,
Quels perils… Un regard m’euſt tout fait oublier.
Tous les Grecs conjurez fondoient ſur un Rebelle.
Je trouvois du plaiſir à me perdre pour Elle.

Phoenix

Oüy, je benis, Seigneur, l’heureuſe cruauté
Qui vous rend…

Pyrrhus

Qui vous rendTu l’as vu, comme elle m’a traitté.
Je penſois, en voyant ſa tendreſſe alarmée,
Que ſon Fils me la duſt renvoyer deſarmée.
J’allois voir le ſuccez de ſes embraſſemens.
Je n’ay trouvé que pleurs mélez d’emportemens.
Sa miſere l’aigrit. Et toûjours plus farouche
Cent fois le nom d’Hector eſt ſorti de ſa bouche.
Vainement à ſon Fils j’aſſurois mon ſecours,
C’eſt Hector, (diſoit-elle en l’embraſſant toûjours.)
Voila ſes yeux, ſa bouche, & déja ſon audace,
C’eſt luy-même ; c’eſt toy cher Epoux que j’embraſſe.
Et quelle eſt ſa penſée ? Attend-elle en ce jour
Que je luy laiſſe un Fils pour nourrir ſon amour ?

Phoenix

Sans doute. C’eſt le prix que vous gardoit l’Ingrate.
Mais laiſſez-la, Seigneur.

Pyrrhus

Mais laiſſez-la, Seigneur.Je voy ce qui la flate.
Sa beauté la raſſure, & malgré mon courroux,
L’Orgueilleuſe m’attend encore à ſes genoux.