Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/203

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Je ne ſçay de tout temps quelle injuſte puiſſance
Laiſſe le Crime en paix, & pourſuit l’innocence.
De quelque part ſur moy que je tourne les yeux,
Je ne voy que malheurs qui condannent les Dieux,
Meritons leur courroux, juſtifions leur haine,
Et que le fruit du Crime en précede la peine.
Mais toy, par quelle erreur veux-tu toûjours ſur toy
Deſtourner un courroux qui ne cherche que moy ?
Allez & trop long-temps mon amité t’accable.
Evite un Malheureux, abandonne un Coupable.
Cher Pylade, croy-moy, mon tourment me ſuffit ;
Laiſſe-moy des perils dont j’attens tout le fruit.
Porte aux Grecs cet Enfant que Pyrrhus m’abandonne.
Va-t’en.

Pylade

Va-t’en.Allons, Seigneur enlevons Hermione.
Au travers des perils un grand Cœur Ce fait jour.
Que ne peut l’amitié conduite par l’amour ?
Allons de tous vos Grecs encourager le zele.
Nos Vaiſſeaux font tous preſts, & le vent nous appelle.
Je ſçay de ce Palais tous les détours obſcurs.
Vous voyez que la Mer en vient battre les Murs.
Et cette Nuit ſans peine une ſecrette voye
Juſqu’en voſtre vaiſſeau conduira voſtre proye.

Oreste

J’abuſe, cher Amy, de ton trop d’amitié.
Mais pardonne à des maux, dont toy ſeul as pitié,
Excuſe un Malheureux, qui perd tout ce qu’il aime
Que tout le Monde hait, & qui ſe hait luy-meſme.
Que ne puis-je à mon tour dans un ſort plus heureux…

Pylade

Diſſimulez, Seigneur, c’eſt tout ce que je veux.