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Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/229

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Je rends graces au Ciel, que voſtre indifference
De mes heureux ſoupirs m’apprenne l’innocence.
Mon cœur, je le voy bien, trop prompt à ſe geſner,
Devoir mieux vous connoiſtre, & mieux s’examiner,
Mes remords vous ſaiſoient une injure mortelle,
Il faut ſe croire aimé, pour ſe croire infidelle.
Vous ne prétendiez point m’arreſter dans vos fers.
J’ay craint de vous trahir, peut-eſtre je vous ſers.
Nos cœurs n’eſtoient point faits dépendans l’un de l’autre.
Je ſuivois mon devoir, & vous cediez au voſtre.
Rien ne vous engageoit à m’aimer en effet.

Hermione

Je ne t’ay point aimé, Cruel ? Qu'ay-je donc fait ?
J’ay dédaigné pour toy les vœux de tous nos Princes,
Je t’ay cherché moy-mefme au fonds de tes Provinces,
J’y ſuis encor, malgré tes infidelitez,
Et malgré tous mes Grecs honteux de mes bontez.
Je leur ay commandé de cacher mon injure.
J’attendois en ſecret le retour d’un Parjure,
J’ay creu que toſt ou tard à ton devoir rendu,
Tu me rapporterois un cœur qui m’eſtoit dû.
Je t’aimois inconſtant, qu’aurois-je fait fidelle ?
Et meſme en ce moment où ta bouche cruelle
Vient ſi tranquilement m’annoncer le trépas,
Ingrat, je doute encor ſi je ne t’aime pas.
Mais, Seigneur, s’il le faut, ſi le Ciel en colere
Reſerve à d’autres yeux la gloire de vous plaire,
Achevez voſtre hymen, j’y conſens. Mais du moins
Ne forcez pas mes yeux d’en eſtre les témoins.
Pour la derniere fois je vous parle peut-eſtre,
Differez-le d’un jour, demain vous ſerez maiſtre,
Vous ne répondez point ? Perfide, je le voy,
Tu contes les momens que tu perds avec moy.