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Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/256

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ALBINE.

Quel deſſein !

AGRIPPINE.

Je m’aſſure un port dans la tempeſte.
Neron m’échappera ſi ce frein ne l’arreſte.

ALBINE.

Mais prendre contre un fils tant de ſoins ſuperflus ?

AGRIPPINE.

Je le craindrais bien-toſt, s’il ne me craignoit plus.

ALBINE.

Une injuſte frayeur vous alarme peut-eſtre.
Mais ſi Neron pour vous n’eſt plus ce qu’il doit être,
Du moins ſon changemẽt ne vient pas juſqu’à nous,
Et ce ſont des ſecrets entre Ceſar & vous.
Quelques titres nouveaux que Rome luy défere,
Neron n’en reçoit point qu’il ne donne à ſa mere.
Sa prodigue amitié ne ſe reſerve rien.
Voſtre nom eſt dans Rome auſſi Saint que le ſien.
A peine parle-t-on de la triſte Octavie.
Auguſte voſtre ayeul honora moins Livie.
Neron devant ſa mere a permis le premier
Qu’on portaſt les faiſceaux couronnez de laurier.
Quels effets voulez-vous de ſa reconnoiſſance ?

AGRIPPINE.

Un peu moins de reſpect, & plus de confiance.
Tous ſes préſens, Albine, irritent mon dépit.
Je voy mes honneurs croiſtre, & tõber mon credit.
Non, non, le tẽps n’eſt plus que Neron jeune encore
Me renvoyoit les vœux d’une Cour, qui l’adore,

Lors qu’il ſe repoſoit ſur moy de tout l’Eſtat,
Que mon ordre au Palais aſſembloit le Senat,
Et que derriere un voile, inviſible, & préſente
J’étois de ce grand Corps l’Ame toute puiſſante.
Des volontez de Rome alors mal aſſuré
Neron de ſa grandeur n’étoit point enyvré.