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Page:Racine - Œuvres, tome 1, 1679.djvu/40

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LES FRERES ENNEMIS.

Et ce funeſte amour vous nuit encore plus,
Que les crimes d’Oedipe & le ſang de Lajus.

HEMON.

Quoy mon amour, Madame ? Et qu’a-t-il de funeſte ?
Eſt-ce un crime qu’aimer une beauté celeſte ?
Et puiſquie ſans colere il eſt receu de vous,
En quoi peut-il du Ciel meriter le courroux ?
Vous ſeule en mes ſoûpirs eſtes intereſſée,
C’eſt à vous à juger s’ils vous ont offenſée,
Tels que ſeront pour eux vos Arreſts tout-puiſſans,
Ils ſeront criminels ou ſeront innocens.
Auſſi quand juſqu’à vous j’oſay porter ma flamme,
Vos yeux ſeuls imprimoient la terreur dans mon ame,
Et je craignois bien plus d’offenſer vos appas,
Que le courroux des Dieux que je n’offenſois pas.
Que le Ciel à ſon gré de ma perte diſpoſe,
J’en cheriray toûjours & l’une & l’autre cauſe,
Glorieux de mourir pour le ſang de mes Rois,
Et plus heureux encor de mourir ſous vos lois.
Auſſi-bien que ferois-je en ce commun naufrage ?
Pourrois-je me reſoudre à vivre davantage ?
En vain les Dieux voudroient differer mon trépas,
Mon deſeſpoir feroit ce qu’ils ne feroient pas.
Mais peut-eſtre apres tout noſtre frayeur eſt vaine,
Attendons… Mais voicy Polinice & la Reine.