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LES FRERES ENNEMIS.

Faiſoit ce que jamais le ſang n’avoit ſçeu faire,
Par l’excez de leur haine ils ſembloient reünis,
Et preſts à s’égorger ils paroiſoient amis.
Ils ont choiſi d’abord pour leur champ de bataille,
Un lieu prés des deux camps, au pied de la muraille.
C’eſt là que reprenant leur premiere fureur,
Ils commencent enfin ce combat plein d’horreur.
D’un geſte menaſſant, d’un œil brûlant de rage,
Dans le ſein l’un de l’autre ils cherchent un paſſage,
Et la ſeule fureur precipitant leur bras,
Tous deux ſemblent courir au devant du trépas.
Mon Fils qui de douleur en ſoûpiroit dans l’ame,
Et qui ſe ſouvenoit de vos ordres, Madame,
Se jette au milieu d’eux, & mépriſe pour vous
Leurs ordres abſolus qui nous retenoient tous.
Il leur retient le bras, les repouſſe, les prie,
Et pour les ſeparer s’expoſe à leur furie,
Mais il s’efforce en vain d’en arreſter le cours,
Et ces deux Furieux ſe r’approchent toûjours.
Il tient ferme pourtant & ne perd point courage,
De mille coups mortels il détourne l’orage,
Juſqu’à ce que du Roy le fer trop rigoureux,
Soit qu’il cherchaſt ſon Frere, ou ce Fils mal-heureux,
Le renverſe à ſes pieds preſt à rendre la vie.

ANTIGONE.

Et la douleur encor ne me l’a pas ravie !

CREON.

J’y cours, je le releve, & le prens dans mes bras,
Et me reconnoiſſant, je meurs, dit-il tout bas,
Trop heureux d’expirer pour ma belle Princeſſe,
En vain à mon ſecours voſtre amitié s’empreſſe,
C’eſt à ces furieux que nous devez courir
Separez, les, mon Pere, & me laiſſez mourir,
Il expire à ces mots. Ce barbare ſpectacle,