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Page:Raguey - Le Buste voilé, Roman complet no 19, 1916.djvu/40

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— Non, non, je suis très bien ici. Et il se mit à avaler des cressini. J’aurais voulu pouvoir le prendre et le jeter dans la rue.

— Si mademoiselle veut me faire servir un verre de vin, continua-t-il, sans remarquer mon malaise ou sans en avoir souci, je lui serai bien obligé.

— Vous ne vous apercevez pas, sir Edwards, que cette maison n’est pas une auberge.

— En effet, dit Pia, moitié froissée et moitié souriante de l’étrangeté de ses manières, nous vendons du pain, mais nous ne servons ni à boire ni à manger.

— C’est égal, une fois n’est pas coutume. Ces cressini donnent une soif d’enfer. Mademoiselle, voulez-vous avoir la bonté…

J’avais la rage au cœur ; mais je ne pouvais rien tenter de plus contre ce fâcheux personnage. Pia fit servir un verre de vin ; sir Edwards l’avala avec une vive satisfaction, puis se levant aussi gravement que s’il allait accomplir l’acte le plus important de la vie, il me dit, la tête découverte et le corps raide, comme un soldat au port d’armes :

— Faites-moi l’honneur de me présenter à mademoiselle.

Il n’y avait pas moyen de reculer : je dus m’exécuter. La présentation fut faite, et sir Edwards daigna causer avec Pia comme avec une personne de son monde. Pendant la conversation, qui dura un quart d’heure, je pus entendre plusieurs fois l’Américain maudit murmurer : « Very fine girl ! very fine girl, indeed ». J’aurais voulu l’étran-