Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/132

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Et ils étaient encore en arrière de la grande barre de lumière qui traversait le lac en oblique, allant depuis sous le soleil jusqu’à la rive ; tout à fait une grande route de chez nous, avec les mêmes bosses, les mêmes creux, les mêmes nœuds (des nœuds comme dans un plancher usé) ; — puis voilà qu’à présent ils abordent sur son côté et deviennent tout noirs dessus et la machine toute noire.

C’était cette après-midi de dimanche. Partout on parle, partout des chants, des voix, des rires. Maurice voit qu’il y a des promeneurs sur la grève, il voit de dessous son buisson qu’il y a toujours ces bateaux à rames qui vont et viennent, plus au large ; — les cris des gamins lui arrivent, il cherche le radeau des yeux, il s’est brûlé la vue à vouloir la fixer dessus. Tout un grand moment, il n’a plus rien distingué devant lui que des cercles grenat, rouges, roses, des cercles qui vont s’élargissant à partir de son regard jusqu’à remplir entièrement les deux trous de ses orbites. Et elle-même, quand elle est reparue, elle n’a plus été d’abord, au milieu d’un de ces cercles jaunes, qu’une tache du même jaune, comme si sa vue à lui le trompait toujours, et la lui créât faussement ; — mais il y a eu ensuite que la tache jaune a bougé, qu’elle s’anime, se déplace ; elle devient noire aussi sur l’étincellement des eaux…

— Eh ! là-bas, criait Rouge, quels apprentis vous faites !… Voulez-vous bien ramer en même temps…

Rouge était venu, Rouge avait rejoint Juliette, puis Décos-