Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/146

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Parce qu’il reprenait sa vieille même idée où il y avait de l’étonnement :

— Il semblait qu’on vous attendait, c’est ce qu’il a dit, vous nous manquiez, c’est drôle, et puis ça vous…

Il a hésité :

— Ça vous… ça vous manquait peut-être aussi, parce qu’ici on est tranquille et c’est ce qu’il nous faut, à nous, et c’est ce qu’il vous fallait… Comme ça s’arrange pourtant !

Il disait ces choses, elle écoutait sans rien dire ; il lève la main :

— La tranquillité et la liberté… Regardez-moi ces autres, j’entends ceux de la terre, parce que nous on est de l’eau, et ça fait une grande différence… Ces autres… Vous avez pu voir ce que c’est, vous avez pu vous rendre compte… Ces gens de boutique, ces Milliquet, hein ? ces attachés par la semelle ; oui, tous ces vignerons ou ces gens qui fauchent et râtellent, ces propriétaires d’un coin de pré, d’un bout de champ, d’un tout petit morceau de terre, un ici, l’autre là-bas… Vous les voyez qui sont forcés de suivre un chemin et toujours le même, entre deux murs, entre deux haies, et ici c’est chez eux et à côté pas. C’est plein de règlements partout là-bas, plein de défenses de passer… Ils ne peuvent aller ni à gauche, ni à droite… Moi… Nous, dit-il, on va où on veut. On a tout, parce qu’on n’a rien…

Il avait commencé un discours qui lui était parti malgré lui de la bouche, mais à présent il était bien forcé de suivre, allant derrière, faisant des gestes derrière son discours.