Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/154

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épaisseur venait entre ses doigts ; elle mordait avec ses doigts comme avec des dents dans cette mousse. On a pu voir qui elle était. Oh ! on peut voir de nouveau qui elle est, tandis qu’elle s’élève ainsi dans sa jeunesse et sa force, contournant un de ces bancs de roche ou bien s’y attaquant de face en s’accrochant aux racines qui pendent dans leurs fentes comme des barbes ou des cheveux. De temps en temps, elle se retournait. On le voyait qui ne pouvait pas suivre. Il avait été distancé. Il était tête nue, les cheveux en désordre, hors de souffle ; sa ceinture rouge s’est défaite, elle se met à traîner derrière lui ; d’où l’obligation pour lui de s’arrêter et de nouveau il perd du temps. Elle gagne du terrain, elle met entre eux deux toujours plus de distance. Et voilà qu’elle arrive dans le haut du ravin. Devant elle, à présent, était ce dessous de forêt allant à plat, avec ses hauts troncs espacés, qui laissaient entre eux toute la place qu’il fallait pour qu’on y pût circuler librement. Elle pouvait prendre aussi bien à droite qu’à gauche ou devant elle, pouvant être ramenée facilement à la grève si elle prenait à droite, pouvant gagner rapidement la route et les lieux habités, si elle prenait à gauche. Elle aurait eu toute l’avance qu’il fallait si elle n’avait pas été celle qu’elle était. Mais, tout à coup, on la voit qui s’arrête, puis elle revient en arrière, elle se penche sur le bord du ravin : « Est-ce que vous venez ? disait-elle… On vous attend… » Elle se tenait tout à fait sur le bord de l’escarpement d’où elle se penche vers le Savoyard : « Oh ! le lâche ! le lâche ! il n’ose