Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/185

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d’introduction à trois temps et une espèce d’air de danse ; mais Rouge lui avait dit : « Tâchez de lui jouer un air qu’elle connaisse, un air de par là-bas, un air de son pays ; » alors le voilà qui joue une chanson. Et ensuite…

Ni Décosterd ni Rouge n’avaient bougé. C’est d’où ils étaient qu’ils ont tout vu. On avait d’abord vu venir cette ombre dans l’encadrement de la fenêtre, et sur les rideaux blancs elle allait, se déplaçait ; elle grandissait, se rapetissait. Elle était plus grosse et rien qu’une tête sur les rideaux blancs, puis la tête diminuait de grandeur, alors les épaules venaient à sa suite. Là, il y a eu aussi préparation, parce que deux mains à présent se levaient, allant au visage et dans les cheveux ; puis tout se déformait et toute l’ombre perdait sa forme, s’allongeant et s’amincissant, pendant que les deux hommes étaient toujours à la même place. L’accordéon s’amuse maintenant à des gammes, à des suites de petites notes claires qu’on laisse couler entre ses doigts, comme quand on fait briller des colliers, et on les laisse pendre pour faire valoir la marchandise. Rouge et Décosterd n’avaient pas bougé de leur place ; elle, elle n’avait pas paru encore, mais on l’attendait. C’est alors que Rouge a dit : « Et les bouteilles ? » Elles étaient restées sur le dos de Décosterd. Décosterd n’avait même pas pensé à se débarrasser de son sac. « Mon Dieu ! a dit Rouge, il faut vite aller les mettre au frais. » Il prend le sac à Décosterd qui le lui tend, il descend vers l’eau, il se retourne : « Et toi, va vite préparer les verres ; »