Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/218

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une de ces bennes qui glissent le long d’un câble au-dessus des gorges. Bolomey comprend : tout s’est fait beau pour elle encore une fois, et c’est pour lui dire adieu. On voit deux fois tous les villages, c’est pour elle. On voit deux fois les taches rouges ou brunes qu’ils font et ces carrés couleur de pain des chaumes, là où on vient de faire la moisson. Bolomey a compris ; alors il regarde encore un peu autour de lui ce qui se passe, mais il ne se passe rien d’inquiétant, c’est pourquoi il cache son fusil sous un banc de molasse où son fusil sera au sec jusqu’à ce qu’il vienne le reprendre ; après quoi, il a descendu la falaise. Il s’est engagé dans le chemin entre les roseaux.

C’est cet avant-dernier dimanche : ni Rouge, ni Décosterd, ni elle n’avaient plus été pêcher les jours précédents. Le même filet, tout ce temps, était resté à sécher entre ses perches, et il était tout blanchi de soleil, tout « fusé », comme disait Décosterd. Il était devenu comme de la cendre blanche, tandis que, quand ces mêmes filets servent, ils sont d’un bleu comme celui du ciel, vert pâle comme de la jeune herbe, ils sont dorés comme du miel.

Mais les filets ne servaient plus et ne servaient plus depuis longtemps, comme Bolomey a eu vite fait de le remarquer, et c’était comme il arrivait devant la maison de Rouge. Rouge était assis sur le banc et Juliette lui parlait. Décosterd, lui, était en train de ranger la vaisselle dans la cuisine. Bolomey voit que Juliette parlait à Rouge, et Rouge n’avait pas l’air