Page:Ranc - Souvenirs-correspondance, 1831-1908.djvu/15

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Les rues sont larges ; malheureusement, elles ne mènent nulle part. L’hôtel[1] est superbe et grandiose. C’est une manière d’hôtel du Louvre, mais comme les voyageurs manquent, il est presque toujours fermé. On voit que les Compagnies immobilières travaillent avec la même intelligence à Paris et ailleurs.

La place du Pilori est restée intacte. C’était comme son aimable nom l’indique, la place où les condamnés étaient exposés publiquement, attachés au carcan. C’était là aussi qu’on exécutait. Jusque sous la Restauration, l’échafaud s’y était dressé. Le général Berton y a été guillotiné en 1821. On m’a montré souvent, dans mon enfance, l’endroit même où cette tête courageuse est tombée. Tout à côté était la sombre maison habitée par le Procureur général Mangin qui avait requis contre le général Berton et ses coaccusés. Ce M. Mangin qui fut depuis préfet de police était un des types les plus réussis de Procureur général que l’on pût rêver. Un des condamnés à la peine capitale, le médecin Caffé, ne craignait pas la mort, mais il avait horreur de la guillotine. La veille de l’exécution, son fils, un enfant de douze ans, lui apporta une lancette cachée dans son épaisse chevelure. Dans la nuit, Caffé s’ouvrit d’une main ferme l’artère crurale. Quand on entra, au point du jour, dans son cachot pour lui faire la toilette, on le trouva étendu dans une large mare de sang. La concierge de la maison s’en alla aussitôt en porter la fâcheuse

  1. Ranc écrivait cela en 1867.