Page:Rappoport - La Philosophie sociale de Pierre Lavroff.djvu/15

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de la différence qui existe entre les hommes, quand il s’agit de déterminer la valeur d’un phénomène historique donné, son caractère normal ou pathologique.

Enfin la méthode subjective est de mise toutes les fois que nous croyons que les événements auraient pu prendre une direction autre. On se demande si l’évolution politique de la Grèce antique pouvait ne pas amener ce pays à la domination de la Macédoine ou à celle de l’empire romain ? L’évolution philosophique de la même Grèce devait-elle absolument mettre en tête du mouvement philosophique Aristote et Platon, en reléguant au second plan la tradition philosophique de Démocrite et d’Épicure ou y avait-il d’autres possibilités ?

Toutes ces considérations ne sont applicables qu’aux faits historiques et sociaux. Et voilà pourquoi la méthode subjective est nécessaire en histoire et en sociologie qui se distinguent par leur nature même des sciences naturelles. Ni les sciences mathématiques, ni les sciences physiques, chimiques et biologiques ne suffisent à expliquer pleinement les phénomènes historiques et sociologiques. Ce qui caractérise les phénomènes historiques c’est que, contrairement aux phénomènes naturels, ils ne se répètent pas. Chaque phénomène historique est unique en son genre. Les lois historiques sont des lois d’évolution, c’est-à-dire des lois qui déterminent le lien existant entre deux ou plusieurs phases historiques consécutives dissemblables entre elles. Thomas Buckle qui croyait avoir découvert des lois historiques s’est mépris sur le sens de ses découvertes. Quand il constatait des répétitions, il ne faisait que formuler des lois d’ordre psychologique ou anthropologique, nullement historique. Car l’histoire ne se répète pas. En constatant l’influence de la nature extérieure sur l’imagination humaine, il a formulé une loi concernant la nature psychique de l’homme et ses modifications. Les analogies biologiques de la théorie organique, comme celles de Lilienfeld, Schaeffle, Spencer et Worms n’ont, au point de vue où se place Lavroff, aucune valeur scientifique. Les organicistes ignorent le caractère spécifique, le propre des phénomènes historiques et sociaux. Ils peuvent se croire naturalistes. Ils ne sont pas des sociologues.

Lavroff, par sa méthode subjective, se rapproche d’Auguste Comte. Comme ce dernier, il n’identifie pas la série des phénomènes sociaux avec celle de la nature inorganique ou organique. Mais Lavroff est plus conséquent qu’Auguste Comte. Le fondateur du positivisme tendait toujours à assimiler la loi sociale à la loi naturelle. Il s’agissait pour lui de démontrer qu’ « il y a des lois aussi déterminées pour le développement de l’espèce humaine que pour la chute d’une pierre ». Auguste Comte avait une tâche à remplir : combattre l’esprit théolo-