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VI


Le sens spécial que Pierre Lavroff donne au terme histoire lui facilite la solution du problème fondamental de son œuvre qui est, comme je l’ai indiqué au début, le problème de l’individu.

Comme l’individu est le seul facteur conscient, le seul facteur agissant en vue d’un but voulu et réfléchi, il se trouve par cela même placé au centre du processus historique qui est exclusivement un processus conscient ; tous les éléments inconscients et subconscients se rapportent à la « culture coutumière ». L’histoire est définie comme « la culture travaillée par la pensée critique ». Il est alors évident que l’individu, seul agent conscient de l’histoire, doit jouer le rôle le plus décisif, on peut dire le seul décisif, dans le développement historique de l’humanité. Lavroff ne nie pas la dépendance de l’individu du milieu. L’individu n’est pas seulement facteur créateur, il est aussi produit du milieu cosmique, social et historique. Mais en histoire, l’individu ne peut nous intéresser par les motifs que je viens d’indiquer, qu’en tant que facteur historique. Il est le créateur des formes sociales nouvelles qu’il cherche à réaliser en opposition avec les formes sociales qui ont perdu leur raison d’être devant l’esprit critique, les besoins nouveaux et les forces sociales nouvelles. Mais l’individu isolé est impuissant. Pour que son action soit efficace, il doit devenir une force historique, une « force sociale ». Et il ne peut le devenir qu’en s’associant avec les masses qui travaillent et qui souffrent. Les anciennes civilisations ont péri parce que leurs minorités intellectuelles étaient isolées, parce que la masse populaire n’était nullement intéressée au maintien de l’ordre de choses dont elle ignorait le sens et la portée. Une civilisation supérieure, pour être solide et hors de danger, doit s’assurer le concours de la masse populaire, l’intéresser à son existence, ce qui n’est possible que lorsque cette civilisation est accessible au peuple et comprise de lui. Le « sur-homme » de Nietzsche, qui creuse un abîme entre le génie et le peuple, travaille bêtement à sa propre perte. En s’isolant, il s’expose aux pires dangers. Une civilisation supérieure a besoin pour vivre d’être franchement et sincèrement démocratique. Autrement elle est à la merci du premier peuple conquérant, du premier condottiere militaire.


VII


Le cadre de ce travail ne me permet pas de reproduire le magnifique tableau historique que Pierre Lavroff a tracé, en appliquant ses