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général de la société actuelle exclut l’influence sociale de la coutume primitive. La justice devient une illusion. Car dans la lutte pour l’existence, pour une situation privilégiée, pour la richesse, on ne s’inquiète pas de la dignité des autres. Les individus appartenant aux différentes classes sont des ennemis. Les individus de la même classe sont des concurrents. Cette hostilité, cette concurrence sont des produits inévitables d’une société divisée en classes. Seuls les hommes à conviction morale et rationnelle, seuls les agents du progrès social opposent à cette lutte sauvage la lutte pour l’idéal, la lutte pour le triomphe de la coopération universelle en vue du développement universel. S’ils restent inactifs leur conviction n’est qu’hypocrisie, leur idée de progrès privée de sens.


X

Tel est selon Pierre Lavroff l’idéal socialiste, sur lequel doit se régler la conduite d’un socialiste conscient et qui lui impose des devoirs définis. Mais quels sont les moyens de sa réalisation ? Quels sont les individus, les classes, les partis politiques qui le réaliseront ? Sur la première question Pierre Lavroff répond : par la révolution sociale. Toutes les autres formes de l’activité socialiste ne sont que des moyens nécessaires à la préparation du renversement violent des anciens et des nouveaux privilèges, de l’ordre établi basé sur l’exploitation. Lavroff ne conteste ni l’efficacité, ni la nécessité de l’action parlementaire, mais il la subordonne à la nécessité de la transformation radicale et violente du régime de la propriété privée. Tout d’abord il examine la méthode révolutionnaire au point de vue moral qui est le point de vue décisif et obligatoire. Une révolution qui n’est pas justifiée moralement est un crime[1].

Le devoir moral d’un socialiste est d’assurer au socialisme le triomphe le plus complet possible dans le délai le plus rapproché avec un minimum de souffrances humaines. La révolution mettra fin aux souffrances sans nombre de l’humanité actuelle, assurera son développement libre et continu. Elle fera donc à l’humanité une telle économie de souffrances et de misères de toute sorte, que celles qu’elle entraîne nécessairement sont une quantité absolument négligeable. La lutte des classes et des individus de la même classe devient de plus en plus aiguë, de plus en plus intensive, de plus en plus violente. La lutte pour l’existence atrophie le sens moral, détruit les liens de fa-

  1. Lavroff ne le dit pas dans ces termes, mais tel est le sens de ce qu’il a écrit à ce sujet.