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LE RAISIN VERT

de ma première communion. Ah ! les animaux ! »

Tandis qu’il parlait, Isabelle contemplait ce jeune visage d’où l’enfance avait fui. Le front bombé reflétait plus largement la lumière, les joues s’étaient creusées, un pli d’amertume marquait les coins de la bouche épaisse et sensible. Seul, le regard était le même, intense et réfléchi, sans âge comme si, de tout temps, ce regard eût précédé les transformations successives de la forme visible.

Elle le regardait avec une infinie tendresse, une pitié infinie pour tout ce qu’il allait souffrir encore. Mais qu’il pût souffrir à cause d’elle, dont toutes les forces étaient constamment tendues pour lui épargner la souffrance, voilà qui dépassait son entendement.

Elle touchait aux limites de la vie gouvernée par la volonté et la raison, pressentant, au delà de ces limites, un immense inconnu où la volonté ni la raison n’ont plus de prise, comme s’il émanait de chacun un champ magnétique ingouvernable et dont les autres subiraient l’influence d’une manière absolument imprévisible.

Elle voyait aussi que, dans ses rapports avec son fils, la phase mythique avait pris fin. Il cessait de la diviniser pour la considérer dans sa vérité humaine, avec tous ses travers. C’était bien la fin de l’enfance, la chute de l’ange.

Dans la douleur de la métamorphose, elle vit surgir du fond de sa mémoire la figure de l’abbé Putz, tel qu’elle l’avait souvent rencontré, en allant chercher les enfants au catéchisme, une figure grasse, pâle et bleue, filant sur des souliers muets. Un sursaut d’aversion la souleva :

— Ton abbé Putz, ce salisseur d’âmes ! Si jamais je le retrouve sur ma route, je le pends, entends-tu, avec une corde de chanvre filée de mes propres mains !