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LE RAISIN VERT

les tintements d’argenterie, l’odeur des gâteaux, des boissons et des fleurs, et par les mille petits soleils que les rayons du couchant allumaient aux dorures des cadres, aux torsades opalines du lustre en verre de Venise et dans la profondeur indéfinie des miroirs parallèles.

Ainsi éparpillée, elle s’entendit commettre bévue sur bévue, demander avec empressement à une veuve des nouvelles de son mari, remercier du bel encrier la dame qui lui avait offert une médaille, affirmer à un monsieur poilu jusqu’aux yeux que les anges étaient bien plus beaux que le Seigneur parce qu’ils n’avaient pas de barbe, et, chaque fois, prenant conscience de sa maladresse au moment même où elle la commettait, elle rougissait de confusion et passait précipitamment à une autre.

Mais au-dessus du vacarme qu’elle menait, une part plus déliée d’elle-même s’informait en silence, attentive à ces manifestations subtiles de la vie qui se livrent volontiers à une certaine espèce d’étourdis.

Un rayon de soleil couleur d’ambre, cassé par l’angle du mur, éclairait, sur le piano, un bouquet de roses blanches. C’était de ces roses aux pétales lâches et odorantes qui s’écartent d’un mouvement presque sensible, autour d’un buisson d’étamines courtes et dorées. À l’instant de leur plus grande beauté, elles ne tiennent qu’à un souffle, aussi frêles qu’un chardon mûr.

Lise, regardant le bouquet baigné de soleil, sentait au centre de sa poitrine la tiédeur mortelle qui amollissait les pétales en exaltant leur suave parfum d’abricot. Une invisible main de lumière attirait doucement chaque pétale à soi et chacun résistait douloureusement à la mort, cependant qu’il se répandait dans la fleur ouverte, comme un baume essentiel, un mystérieux consentement. Et quand l’une des roses, tout à coup, se résolut en pluie de neige, par-