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LE RAISIN VERT

noblesse de Cassandre, si bien qu’ils s’éloignaient déconcertés et confus.

Comme elle arrivait près de la fontaine Saint-Michel, elle rencontra deux yeux masculins qui fixaient sur elle un regard d’une autre sorte. Il y avait dans ce regard de l’attention, un étonnement amusé et cet effort particulier de l’esprit qui poursuit une définition. Mais Cassandre, bien que sa finesse naturelle perçût parfaitement tout cela, ne prit pas, elle, le temps de le définir, car elle venait de s’écrier :

— Mais c’est le frère de Lise !

— Hé ! dit Laurent à son tour, c’est la filleule de la prophétesse troyenne. Je me disais aussi : « Cette singulière jeune femme me rappelle une figure de connaissance. » Vous avez changé.

— Vous aussi, dit Cassandre en l’examinant. Puis elle se mit à rire au souvenir de leurs jeux et demanda malicieusement :

— Avez-vous fait des progrès en français ?

— En français ?… Ah ! oui, notre blague… Mon Dieu, un peu, très peu. Des progrès de vocabulaire.

« Et vous, Cassandre ? Chantez-vous toujours des mélodies où il y a des cœurs en fruit et des griffes en or ?

— Non, répliqua gravement Cassandre. Ce n’est plus dans ma voix. Je chante du grand opéra. J’ai beaucoup travaillé à Bruxelles, où je viens de passer… quelques mois. Et je crois que je vais essayer d’une carrière lyrique.

« Pourquoi me regardez-vous ainsi du haut en bas ? C’est ma robe qui vous fascine ? Elle est jolie, hein ? Et pas chère, vous savez. Si je vous disais le prix que je l’ai payée, vous ne le croiriez pas.

— Je ne douterais pas de votre parole, dit Laurent d’un ton sérieux.

Et, jetant à sa toilette un regard songeur, il murmura comme pour lui-même :