Page:Ratel - Isabelle Comtat, Le Raisin vert, 1935.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
LE RAISIN VERT

Ayant dit, Isabelle jeta le petit couteau sur la nappe et soutint avec calme le regard de son mari. Un mouvement nerveux agitait les coins de sa bouche.

— Ainsi, dit Amédée, vous trouvez que c’est nécessaire ? Vous tenez absolument à leur donner des goûts de luxe et de futilité ? Vous voulez les rendre impossibles pour les hommes qui les épouseront ? Des grimaces sur un gâteau que tout le monde trouverait excellent et des escarpins aux pieds, c’est ce qu’on appelle une éducation ! Danser, chanter, dire des vers et jouer la comédie, c’est ce qu’on appelle préparer des jeunes filles à l’existence ! Ne haussez pas les épaules, je vous prie, ou je vais vous raconter ce que j’ai vu et entendu l’autre jour. J’ai vu et entendu Lise, dans le couloir de service, debout devant la porte des W.-C., réciter à tue-tête des vers de Lamartine, pour charmer son frère qui était dedans et qui, lui, criait comme un sourd : « Moderato, moderato, tu me casses les oreilles ! » Voilà ce que j’ai vu et entendu. Voilà ce qu’on appelle une éducation.

Lise prit la parole, d’un ton modeste, mais qui affirmait la nécessité d’une mise au point :

— Ce n’était pas du Lamartine, papa. Ce n’était que du Joséphin Soulary : les Deux Cortèges.

— Peu importe, trancha M. Durras. C’était d’un pleurnichard quelconque. Toujours est-il que je ne connais pas de maison sensée où l’on tolérerait des mœurs pareilles. Mais ça va changer, je vous en réponds. À partir d’aujourd’hui, fini, la danse. Et les escarpins, au fond d’un placard.

— Mon ami, dit Isabelle, les leçons de danse sont comprises dans le programme. Et les escarpins, je n’y peux rien, c’est l’uniforme.

— Voilà qui m’est égal, repartit Amédée. Elles ne danseront plus.

Mais, rien qu’à la manière dont il regardait son