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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/11

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LA MAISON DES BORIES

— Figure-toi, j’ai fait un rêve idiot, cette nuit. J’ai rêvé que je voulais manger de la graine de pavot, pour m’amuser. Crois-tu que c’est bête, hein ?

« Car on aimait tant Isabelle qu’on se trouvait paralysé quand il fallait dire de ces mots qui lui auraient révélé l’inquiétude ou la peine où l’on était, et l’on aurait eu honte de le lui laisser seulement soupçonner. Et pourtant il fallait trouver moyen de l’avertir de ce qui se passait, sans en avoir l’air.

« Devant l’oncle Amédée, on n’éprouvait nulle honte — il était tellement étranger à tout ce qui vous concernait ! — mais avec lui il fallait mesurer ses mots pour ne pas faire d’histoires. Ainsi on ne pourrait jamais lui demander de ne pas répondre à cette lettre, parce qu’il aurait fallu avouer que Laurent l’avait entendu parler de la lettre, ce matin, avec Isabelle et s’était dépêché de tout raconter aux filles — et Dieu sait comment il aurait pris la chose !

« Si encore on avait pu dire que c’était Lise qui avait entendu ce qu’elle n’aurait pas dû entendre… Il aurait commencé par se mettre en colère, mais la Zagourette s’en serait tirée par une de ces répliques vives, gracieuses et moqueuses qui faisaient penser à l’éclat de rire du merle, quand il s’envole sous le nez du chasseur, et l’oncle Amédée aurait tourné les talons en grommelant et serait remonté dans son bureau. Mais avec Laurent, grands Dieux ! avec Laurent…

« Car si les choses n’allaient pas toujours comme elles auraient dû aller, dans cette maison des Bories où l’on était si heureux, par moments, qu’il n’y avait pas besoin de se creuser la cervelle pour imaginer un autre paradis. — S’il y avait trop souvent, à la maison des Bories, des larmes et de l’angoisse dans l’air et la nécessité absolue de se retirer dans la maison du champ de seigle pour y tourner et retourner pendant des heures toutes sortes de problèmes inquiétants,