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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/111

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LA MAISON DES BORIES

drame dans trois esprits enfantins pour qui ressuscitaient la terreur et la merveille des âges disparus. À un moment, M. Durras vit le regard de son fils fixé sur lui, sérieux, intense, illuminé, happant les mots qui sortaient de ses lèvres et il ressentit un petit choc agréable : cette vision de Laurent avait rejoint en lui l’image de l’enfant théorique, l’enfant « Oui-papa » dont il avait jadis rêvé, et l’espace d’une seconde, ces deux Laurent s’étaient accolés et fondus. Mais l’instant d’après, il avait perdu jusqu’au souvenir de ce doux ébranlement.

M. Durras s’interrompit pour prendre de l’entremets que lui présentait Ludovic. Les trois têtes aussitôt se retournèrent vers Isabelle et trois regards ravis lui dédièrent l’offrande diaprée de cette matinée pleine de soleil, de ce bon déjeuner, de cet Amédée éloquent et débonnaire, de leur beauté à eux, de sa beauté à elle et de l’amour toujours présent, menant au creux du cœur sa vie d’abeille.

Le sourire invisible d’Isabelle frémit, s’envola, effleura au passage le visage de l’étranger et ce fut comme si un bref coup de soleil envahissait ce visage, du menton osseux aux pommettes mongoles, fonçant le teint de jambon de cette peau d’homme du Nord déjà cuite par le hâle jusqu’aux sourcils et glissant en nappe rose sur le vaste front, très haut, très blanc, qui semblait planer au-dessus des traits comme un fragment égaré de lune. La pâleur satinée de ce front, la blancheur des longs doigts aux phalanges fondues et celle des paupières, quand il baissait les yeux : trois touches de neige, de lune et de féminité, qui se jouaient sur un ensemble plus rude, cuir et métal, — cuir pour la peau du visage, métal blond pour les cheveux et les sourcils. On avait à peine entendu sa voix depuis le début du repas. Il se contentait de ponctuer les périodes de M. Durras par des approbations timides et gutturales qui semblaient émaner