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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/170

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LA MAISON DES BORIES

— Je sais, oui, mais c’est une mauvaise chose que l’accoutumance…

— Non, oh ! non, je ne parle pas d’accoutumance. Oh ! l’accoutumance, non, je ne sais pas ce que c’est que l’accoutumance. Vous pouvez vous habituer à quelque chose, vous ? Moi pas. Bonheur ou malheur, tout est toujours nouveau et quand je vivrais mille ans…

— Eh bien ! donc, si vous sentez le mal, ainsi, toujours, comme une blessure pas fermée, vous devez comprendre, vous devez savoir qu’il y a danger. Je voudrais vous dire ce que je sais, mais votre bon sens latin me regarde du fond de vos petites prunelles diurnes et il me fait peur. Si vous vouliez regarder plutôt ces épis et que je voie seulement vos romantiques paupières de brune triste, il me semble que je me trouverais dans un pays plus favorable.

Un rire léger s’éleva.

— Pauvre Carl-Stéphane ! Pourquoi donc avez-vous toujours besoin qu’on vous approuve ? Qu’est-ce que cela peut faire, qu’on soit ou qu’on ne soit pas de votre avis, si votre voix intérieure vous dit que vous avez raison ?

— Madame, je pense que la grande supériorité des femmes dans l’existence, c’est qu’elles n’entendent jamais qu’une voix à la fois, — ou plusieurs voix, mais qui disent toutes la même chose, comme celles qui parlaient à votre Jeanne d’Arc. Tandis que les pauvres hommes entendent une cacophonie qui est, je pense, l’écho de Babel, et pour cela il leur est plus difficile, donc, d’être certains qu’ils ont raison,

— Ça doit être bien gênant. Allons, racontez-moi votre histoire. Je ne vous regarde plus. Comme les épis sont drus cette année ! Avez-vous remarqué ? C’est plaisir de les voir. On les coupera bientôt, la caille a déniché.