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LA MAISON DES BORIES

regarder pour comprendre qu’ils sont morts. Quelque ressort secret les galvanise. J’en ai connu, ah ! j’en ai connu qui avaient les plus brillantes apparences de la vie. Je comprends maintenant, je retrouve tous les morts que j’ai connus. Des hommes, des femmes. Il y en a d’inoffensifs, mais ils n’aiment personne et pleurent d’ennui quand on a fini de les amuser. Ils disent toujours les mêmes choses, ils font toujours les mêmes gestes, ils ont la manie de l’imitation comme des singes véritables, mais pas un sentiment, pas une affection, pas un élan. Le vide, donc, et c’est tout. Mais imaginez-vous que d’autres puissent être redoutables, avec une volonté obstinée de vengeance contre les vivants, parce qu’ils souffrent tant de n’être pas comme eux ? Et qu’ils essaient de les rendre pareils à eux, par jalousie, et pour n’être plus tout seuls ? Et imaginez-vous le danger qu’il peut y avoir à exciter la jalousie d’un mort ? Danger pour les vivants, et danger pour eux-mêmes, car ils ne font qu’aggraver leur peine, s’ils entraînent un autre…

— Alors, ils sont jaloux parce qu’ils sont morts, et parce qu’ils sont jaloux, ils tuent, et parce qu’ils tuent, il leur faut continuer à être morts, donc jaloux et il n’y a pas de raison pour que cela finisse ?

— Il faut les laisser à leur destin et ne pas les tenter, reprit la voix sourde avec une gravité qui répondait à la légèreté de la voix claire. On ne peut rien pour eux, sinon se sauver d’eux. Le reste ne dépend pas de nous.

— Vous avez une imagination bien macabre. Il y a d’ailleurs du vrai dans ce que vous dites, d’une manière figurée. Certains êtres sont possédés d’une véritable fureur de détruire…

— Ah ! vous le sentez ? Vous l’avez senti ce besoin de destruction ?

— Si je l’ai senti ? Vous voulez dire… Mais pourquoi parlons-nous de ce sujet-là ! À quoi cela sert-il, d’en