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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/220

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LA MAISON DES BORIES

la clameur d’une poule égorgée éclate, précipitant le poulailler dans un tumulte de cris, dans une neige de plumes arrachées où sonne éperdument le clairon du coq, soudain faussé par un gargouillement d’agonie. Horribles vociférations des veuves, chez qui l’épouvante soutient vigoureusement le regret. Clameurs de mort, bonds silencieux du monstre, tumulte et joie du carnage… Soudain, un bruit de sabots traînés dans une cour de ferme. Souple ondulation du renard, qui fond dans la nuit, sa proie entre les dents. Sur le champ de bataille, éclairé par la lueur d’une lanterne promenée à bout de bras, de rauques appels, des « cott, cott, cott » précipités et stupides racontent une épouvantable histoire à cette voix paysanne qui compte lentement, atterrée : « Eûn’, deux, trrois, quat’pittes et l’coq ! Oh ! la sâ bêête ! la sâ bêête ! »

Le Corbiau ne racontait jamais rien. Elle écoutait, serrée contre Isabelle, les genoux ramenés à la hauteur du menton, sa lourde et lisse chevelure noire glissant le long de ses joues mates — et son attitude, ses prunelles obscures, comme deux puits béants, suggéraient le feu de campement, la brousse, l’auditoire en cercle. Elle ne disait jamais rien, mais parce qu’elle était là, tout devenait plus profond, plus mystérieux, tout semblait venir de plus loin et s’en aller sur une longue route.

Isabelle lui caressait la tête, doucement, sans fin, cherchant à savoir ce qui pouvait bien mûrir dans cette tête, quelle était cette idée dont elle sentait la présence, pour ainsi dire du bout des doigts, sans pouvoir en deviner la nature ? Mais la petite ne disait rien.

C’est ainsi que passent les soirées d’hiver dans la maison des Bories, cependant que le vent aveugle, soulevant le heurtoir de bronze, frappe, frappe, frappe à la porte. Et Chientou, étendu sur la pierre chaude du foyer, de temps à autre allonge une patte timide,