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LA MAISON DES BORIES

— Tu n’as pas faim ? Tu voulais tout dévorer tout à l’heure. Qu’est-ce que cela signifie ?

— J’aime pas le poulet, répondit Laurent d’un air buté.

— Comment, tu n’aimes pas le poulet ? En voilà une histoire ! Et d’ailleurs, un enfant n’a pas à dire « j’aime » ou « j’aime pas ». Il n’a qu’à manger ce qu’on lui donne et à se taire. Antonin, donnez du poulet à Laurent, s’il vous plaît.

— J’en mangerai pas, reprit la voix obstinée, rauque et tremblante.

— Nous allons bien voir si tu n’en mangeras pas. Antonin, donnez du poulet à Laurent, un gros morceau. Là. Maintenant, prends ta fourchette. Prends ta fourchette ! répéta M. Durras d’une voix terrible en frappant la table du poing.

Les filles, tapies sur leurs chaises, appelaient Isabelle au secours, de toutes leurs forces de leur esprit. Hélas ! Isabelle était loin… Laurent se leva tout d’une pièce, regard fou, lèvres convulsives :

— Je m-mangerai pas du Co-Colonel ! Pis… pis d’abord, c’est… (il prit une grande respiration) c’est toi qui l’as fait tuer… ass-ssassin !

Et d’un bond il traversa la pièce et sauta par la fenêtre.

M. Durras pâle jusqu’aux lèvres, les yeux exorbités, s’était levé avec quelques secondes de retard. Il trouva dans ses jambes le Corbiau Gentil, les bras en croix, le visage levé vers lui et qui criait éperdument :

— Moi, moi, oncle Amédée ! moi, moi, moi !

Il l’écarta d’une poussée mais elle tomba sur ses pieds, lui enlaça les jambes de ses deux bras et se laissa traîner, secouer, en criant à tue-tête, comme une locomotive en détresse, comme personne jamais n’avait entendu crier cette petite fille tranquille :

— Carl-Stéphane, au secours, au secou-ours ! Il va le tuer, il va le tuer ! Vous l’aviez dit, vous l’aviez