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Page:Ratel - La Maison des Bories.pdf/261

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LA MAISON DES BORIES

Peut-être même comprendrait-elle que l’intérêt de Laurent exigeait qu’il fût mis en pension, pour lui apprendre à travailler. On le ferait sortir le jeudi et le dimanche et tout le monde serait heureux. La grande bêtise qu’il avait faite, ç’avait été d’amener une jeûné mariée dans ce repaire de loups des Bories. Elle s’était jetée follement dans la maternité, faute de distractions extérieures et tout le poison de leur vie était venu de là.

Certes, s’il avait mieux connu les femmes… Mais voilà, on l’avait abruti en lui persuadant dès l’enfance que la femme était le diable et qu’il ne fallait pas l’approcher hors du mariage… Tas de coupables imbéciles ! Enfin, il en avait terminé avec les préjugés et les incompréhensions. Maintenant qu’il était capable de penser par lui-même, il allait diriger sa vie un peu mieux, et tâcher de vivre en paix.

À la Porte Maillot, des Italiennes en sabots de bois claquants et tabliers noirs plissés portaient sur la hanche des paniers de violettes et de roses-thé liées en bottes maigres, aux longues tiges flexibles couleur de corail. Elles poursuivaient les passants de leurs offres nasillardes qui traînaient longtemps avec le parfum des fleurs, dans l’air d’avril. L’une d’elles s’attacha aux pas de M. Durras, flairant sans doute la secrète faiblesse de cet homme au visage dur. Il fut sur le point de céder, mais songea qu’il aurait l’air de présenter des excuses s’il rapportait des fleurs à Isabelle et il se débarrassa par un « non » sec et bref, de la marchande déçue.

À mesure qu’il approchait de la pension de famille, il appréhendait davantage le premier regard de sa femme et son premier mot. Tout son être avait soif de paix.

Lorsqu’il entra, Isabelle prenait son thé, dévorant à belles dents des tartines de pain de seigle si amplement beurrées qu’on ne voyait plus le pain.