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LA MAISON DES BORIES

sphinx bourdonnant autour des fleurs de tabac blanc, — ni la Zagourette, serrée contre sa mère, la joue appuyée sur son bras nu, à l’endroit de la saignée et qui respirait de tout son nez, regardait de tous ses yeux, écoutait de toutes ses oreilles les merveilles d’un soir d’été encloses dans un coin de jardin.

Isabelle regardait plus loin, vers le troupeau de crêtes montagneuses que la perspective abaissait jusqu’aux lointaines Cévennes, fondues à l’horizon, toutes bleues, vers la Limagne mauve, étalée au pied des plateaux, vers la route qui descendait pendant des lieues et des lieues pour rejoindre la plaine. Par là, c’était Chignac et par ici, Saint-Jeoire. Entre les deux, la solitude. Et là-haut, le ciel, vert à l’orient, orangé au couchant et entre les deux, un grand espace incolore et pur comme une perle.

Il aurait fait bon rester là, jusqu’à nuit noire, jusqu’à la brusque levée du vent, qui galopait follement toute la nuit, entre ciel et terre, sous un fourmillement d’étoiles.

Isabelle se retourna, jeta un coup d’œil à la fenêtre du deuxième étage, voilée de rideaux d’étamine blanche. L’heure approchait où il lui faudrait accomplir sa métamorphose.

— Allons, dit-elle, il est temps, mes Carabis des bois.

Ils la regardèrent, virent que cette fois c’était sérieux et la suivirent sans protester.

Avant d’entrer avec eux dans la chambre, elle écouta si rien ne bougeait au second. Rien ne bougeait. Elle avait encore un peu de temps.

Il arrivait, par certains soirs trop beaux, comme celui-ci, qu’on laissât passer l’heure. Isabelle disait d’Amédée qu’il avait un chronomètre dans le sang — mais bien que pareil accident n’eût jamais interrompu sa circulation à elle qui était excellente, elle tenait les montres en disgrâce, se fiant à un sixième sens,