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LA MAISON DES BORIES

à triple face : sortir de son milieu végétatif, s’instruire, s’élever. Le mariage la conduirait à la vie active, son mari l’instruirait, ses enfants l’élèveraient, — car elle les élèverait d’abord, eux, avec tant d’amour qu’ils ne pourraient être que des lumières. Voilà ce qu’elle savait. Elle savait encore une chose : c’est qu’elle n’aimait pas Amédée Durras, mais là, elle n’aurait su dire pourquoi.

On les félicitait tous deux : « Une si jolie jeune fille, si charmante, si musicienne, une femme d’intérieur si accomplie… » « Un homme si distingué, de tant d’avenir, un esprit si remarquable… » « Merci, merci », répondaient-ils.

Non, elle n’aurait su dire le pourquoi de cette aversion secrète qui lui donnait envie de fuir quand son fiancé l’approchait. Mais elle croyait de bonne foi que c’était là un sentiment commun à toutes les jeunes filles en présence d’un homme amoureux et pensait que la Nature jouait aux femmes un tour détestable en vérité, — mais il fallait en passer par là. Elle n’était pas fille à reculer devant les conséquences d’un « oui », Isabelle Comtat. Seulement, elle se méfiait d’instinct de tout ce qu’elle ne connaissait pas — et si, par hasard, l’expérience venait confirmer cette méfiance primitive, alors toutes les forces du monde coalisées n’auraient pu ébranler son opinion sur ce qu’elle avait expérimenté et, sur-le-champ, jugé. C’est ainsi qu’elle était… et personne n’y pouvait rien.

Bien entendu, ce n’est pas cette jeune fille-là qu’Amédée allait épouser. Il épousait la jeune fille qu’il avait vue près de la cheminée, douce, silencieuse, un peu craintive et mélancolique. Auprès d’elle, il oubliait complètement sa vieille ennemie la Peur. Il se sentait plein d’assurance, glorieux, sûr de lui, content de lui, — heureux, en somme.

Ils eurent, pour leur mariage, le sacrement, les cloches, le suisse, les clameurs d’orgue et la man-