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LA MAISON DES BORIES

au fond de ces prunelles d’homme amoureux et qui n’attendait, elle le sentait bien, qu’une minute d’inattention de sa part pour bondir sur elle et la terrasser ? Elle en aurait crié d’épouvante et de solitude, dans cette grande maison sonore, si elle n’avait été une jeune femme si bien élevée et si raisonnable.

Mais Isabelle Durras était une jeune femme raisonnable et bien élevée et elle s’appliquait de toutes ses forces à faire honneur à la parole d’Isabelle Comtat, puisqu’elle avait dit « oui », dans une autre vie, en sachant exactement pourquoi, mais sans savoir, grands dieux ! sans savoir un mot de ce qu’elle faisait…

Pendant quelques mois, Amédée put se croire heureux. Il était amoureux pour la première fois de sa vie et s’émerveillait de cette nouveauté. Il avait épousé Isabelle parce qu’elle lui plaisait comme aucune femme ne lui avait jamais plu et, pour l’épouser, il avait passé par-dessus les considérations de la prudence qui lui remontrait qu’Isabelle n’avait pas de fortune, une petite dot et des goûts raffinés, circonstance aggravante, alors que lui-même n’était pas très riche, plus qu’elle, cependant, ayant pu disposer dès sa majorité du bien de ses parents : une quinzaine de mille francs de revenu, dont il avait fait fructifier le capital. Mais l’amour avait balayé toutes ces considérations mesquines et Amédée s’en trouvait grandi à ses propres yeux. D’ailleurs il n’avait qu’à se féliciter de son choix. Sa femme était jolie, pleine de bonne volonté, d’humeur égale et tenait sa maison avec cet art de bien vivre qu’elle avait appris chez ses parents, les meilleures gens du monde. Oui, il n’avait qu’à s’en féliciter. Quoi de plus doux que de vivre avec la femme qu’on aime ?

Une si jolie peau… une si bonne table… Un peu trop fantaisiste, un peu portée à la prodigalité, plus aristocrate peut-être que bourgeoise, dans l’ensemble — et cela aurait pu devenir inquiétant — mais jus-