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LA MAISON DES BORIES

était joli, son phénix ! Encore, s’il avait eu des qualités de cœur, on lui aurait volontiers pardonné d’être un crétin, car ce n’était pas de sa faute, après tout. Mais Isabelle qui parlait de son « cœur d’or », de sa loyauté, de sa sensibilité, elle n’avait donc jamais vu, Isabelle, ce regard sauvage, méfiant, traqué, ce regard de bête des bois, cet abominable regard dans son visage contracté, au menton lourd, bestial ?

« D’où pouvait-il tenir pareils instincts ? D’où venait cet enfant, ce fléau du ciel, aurait-il dit autrefois quand il croyait à ces bourdes ? »

La voix mordante d’Isabelle s’éleva dans sa mémoire :

« — De vous, mon cher ami. Croyez bien que si je m’en souviens, ce n’est pas pour mon plaisir. »

« Ah ! la sale bête, comme elle savait l’atteindre au défaut de la cuirasse !

« Est-ce que c’était de sa faute, si… Eh ! oui, peut-être que les premiers temps de son mariage, il n’avait pas su… il aurait dû… D’accord, d’accord, mais enfin toutes ces simagrées de femme… Au diable !

« Quant à Laurent, qu’il fût de lui, ça, il n’en pouvait douter. S’il y avait un homme qui pût être sûr de la fidélité de sa femme, c’était bien lui. Et après ? Qu’est-ce que ça signifiait, cette paternité du sang ? Son fils ! Qu’est-ce que ça voulait dire ? Quel rapport y avait-il, non pas même entre l’homme qu’il était et Laurent, mais entre l’enfant qu’il avait été et Laurent ? »

M. Durras se dirigea vers une commode. Au fond du dernier tiroir, il y avait, classés par année et noués d’un ruban, tous ses devoirs d’écolier, de sept à dix-huit ans. Liasses jaunies, couvertes d’une écriture appliquée dont le tracé avait pâli, — mais les notes marginales à l’encre rouge se détachaient vivement à la clarté blafarde de la lune : appréciations sévères ou flatteuses, — beaucoup plus souvent flatteuses.