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TROIS PARMI LES AUTRES

livres un museau de loir effaré, celles-là ils les laissent tranquilles. Mais les autres, si elles ne savaient pas se faire respecter, je crois que… tu sais… C’est étrange, les hommes ne comprennent jamais qu’on puisse flirter, histoire de s’amuser, sans penser à autre chose.

— Comment ! s’écria Antoinette, histoire de s’amuser ! Il y a encore des femmes qui trouvent ça drôle ! Tu trouves ça drôle, qu’un homme te fasse la cour ? Tu trouves ça drôle, ces yeux de chien qui mendie un os ?

Annonciade, convaincue :

— Ce qu’ils peuvent être exaspérants, quelquefois ! Et ceux qui vous font de l’œil dans le métro, ce qu’on a envie de les gifler ! Les imbéciles !

Suzon souriait, baissant ses longues paupières :

— Il y en a de si ridicules… C’est à se tordre.

— C’est à pleurer, tu veux dire. À pleurer sur eux et sur nous.

— Oh ! mon vieux Tony, ce que tu vois les choses en noir ! Tu n’aurais pas été quaker, dans les temps ?

— Je ne sais pas ce que j’ai été. Mais quand je vois, dans le métro ou l’autobus, un homme assis en face de moi qui prend cet œil fixe, dur et luisant et qui commence, ses genoux contre les miens, je ne sais quel grotesque trémoussement de pélican malade, je suis saisie d’une fureur qui fond très vite en pitié. Cette épilepsie dont ils ne sont pas responsables, dont la cause est en moi et l’effet en eux, je serais presque disposée à leur en demander pardon si je ne savais combien ils en sont fiers, les malheureux…

« Alors, quand nous aimons chez des hommes