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Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/141

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TROIS PARMI LES AUTRES

je te crois que ça fait plaisir. Un peu plus, tu m’étranglais comme le pigeon à qui tu avais si bien tordu le cou — tu te rappelles ? — pour lui prouver ta tendresse.

— Eh bien, disait André, tu n’as pas honte, Bertrand ! en voilà une tenue !

— C’est une très bonne tenue, riposta gaiement Antoinette. Ce sont nos douze ans qui viennent de s’embrasser.

Elle pensait ; « Que n’en fait-il autant ! on respirerait mieux. »

Mais André la regardait toujours avec des yeux chargés d’orage et, quand il lui parlait, lui disait vous.

— Allez ! s’écria Bertrand, une course à clochepied !

Ce fut le signal d’un pandémonium. À la course à cloche-pied succéda une partie de chat perché, puis une expédition dans les greniers où ils découvrirent des vieilles ferrailles mangées de rouille ; casseroles, fragments de chaînes, fer d’outils agricoles ou vieilles poêles devinrent les instruments d’un jazz sauvage.

— C’est pour faire fuir la pluie ! criait l’abbé Graslin en passant sa tête barbue par une lucarne et regardant le ciel nuageux d’un air de défi, tandis qu’il tapait à tour de bras sur un débris roux et grumeleux pourvu d’un manche qui avait du être jadis une poêle à frire. Il avait l’air d’un mage étrusque. Une gaieté barbare sortait de ce grand corps enjuponné, renforçait le délire des jeunes gens roulés par les vagues impétueuses de l’enfance et secrètement grisés par la conscience de leur beauté et de leur force adultes.