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Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/150

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TROIS PARMI LES AUTRES

du petit peuple, se penche sur lui avec amour. L’insecte effrayé se tapit, les antennes fixes. La jeune fille songe au bourdonnement qui s’élève des moissons mûres, comme le chant de mille fils télégraphiques vibrant au vent… Terre musicale, immense flûte de Pan, comment capter ton harmonie ?

Robert-Mowgli, debout, enlève sa veste, défait sa cravate, rabat le col de sa chemise de soie blanche pour avoir l’air un peu plus sauvage. Son cou dégagé, plus clair que son visage, lui donne un air juvénile. Une phrase lue dans un magazine anglais passe dans l’esprit d’Antoinette : Handsome men are slightly sunburnt (un léger haie sied à la beauté des hommes). Elle se représente Robert Gilles vêtu de toile blanche, sous le casque colonial. Il est dans une clairière, entouré d’arbres immenses et d’une multitude de chants d’oiseaux, de souffles, de murmures. Il voudrait se fondre dans ces bruits du soir. Mais la terre, insensible à l’amour de l’homme, rejette son désir. Pauvre petit frère condamné à la solitude ! Ce soir, du moins, ce soir la terre t’aimera, la Jungle t’aimera, puisqu’elle est cette jeune fille désincarnée, envahie par l’haleine de Pan et qui ne garde plus de son état de femme qu’une lucide volonté d’amour.

Dans l’esprit de Robert, de vastes paysages accablés de soleil viennent mêler leurs lignes aux lignes médiocres et douces de ce paysage français, détails expressifs dans un ensemble mou. Des souvenirs exaltants imprègnent de force le plaisir de l’heure présente. La belle Annonciade est debout dans l’herbe comme une grande