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TROIS PARMI LES AUTRES

bref qu’aucune pensée n’avait eu le temps de s’y formuler et que cela s’était passé comme un échange de signaux lumineux et blessants.

Au milieu du plaisir qu’elle lui donnait, Robert conservait l’état d’esprit d’un homme séduit par le corps d’une femme et qui, d’un œil critique, lui cherche des défauts pour se préserver de l’envoûtement. L’adversaire était dangereusement puissante, surtout à cause de cette faculté qu’elle avait de communier intimement avec les êtres et les choses, d’en pénétrer le sens : cela se traduisait par un rythme de l’esprit qui se livrait et se reprenait tour à tour, oscillant entre l’amour et l’ironie.

Entraîné par ce rythme, quand on avait subi le magnétisme de sa sympathie on craignait de se sentir désarmé devant sa lucidité. Par représailles anticipées, Robert l’accusa de sécheresse. Il trouva aussi que son intelligence n’avait rien de mâle, contrairement à ce qu’avait dit Suzon, qu’elle était la féminité même, dégagée de l’instinct, parvenue à la connaissance. Elle lui plaisait mieux ainsi, mais en même temps lui paraissait plus étrangère ; et, remarquant en elle des tendances dont il avait horreur, un mysticisme diffus, une sensualité éparse qui échappait à l’homme, il se dit qu’elle était d’autant plus redoutable qu’elle mettait au service des errements féminins une conscience aiguisée. Cette idée renforça l’antagonisme obscur dont Annonciade était l’enjeu.

Jusqu’à l’heure du départ, se promenant dans les allées, ils continuèrent leur duel captivant et sournois, cependant qu’Annonciade marchait à