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Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/197

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TROIS PARMI LES AUTRES

Ridicule ! Parbleu, je le sais bien que vous me trouvez ridicule ! Il y a longtemps que je m’en aperçois, vous m’avez toujours pris pour un idiot. Mais les idiots ne sont pas toujours aussi bêtes qu’ils en ont l’air, ma petite Antoinette, retenez ça, ça pourra vous être utile dans la vie. Évidemment, je ne suis pas allé aux Indes et je ne peux pas raconter des histoire de chasse au lion. Je ne sais pas non plus tourner la tête aux jeunes filles en leur faisant la cour en série. Pas la peine de prendre cet air effaré, le beau Robert a filé discrètement avec votre amie. Nous sommes seuls, ma très chère. C’est le moment de nous expliquer bien gentiment, en toute amitié, comme vous dites, mademoiselle la prêtresse des beaux sentiments.

Il essayait d’ironiser, mais il n’y avait que de la colère dans ses yeux de fou.

Antoinette, stupide de saisissement, l’entendit rappeler de vieilles histoires qui dataient de leur enfance, des mots qu’elle avait dits sans y penser et qu’André avait reçus comme autant d’offenses, d’abord acceptées avec une humilité voluptueuse et trouble, ensuite ruminées rageusement. Tout cela, oublié en apparence, avait ressurgi lorsqu’ils s’étaient retrouvés et le même guetteur sournois qui observait jadis une enfant de douze ans s’était acharné à recueillir dans l’attitude de la jeune fille, dans ses moindres propos, un aliment à cette fureur qu’un rien transformait en adoration, un rien, en haine.

À imaginer la force obscure qui travaillait l’esprit de ce garçon depuis si longtemps et avec un si superbe dédain de la vérité, de la justice et du