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TROIS PARMI LES AUTRES

— Non, non, il ne faut pas renoncer à cela. La trêve de la soif ! Voyez-les l’un en face de l’autre, comme ils ont soif. « Les femmes meurent de soif en regardant la sécheresse de vos yeux. » Qui a dit cela ? Un homme. Ah ! vous voyez bien…

…Doucement, prudemment, chacun surveillant l’autre, les ennemis tourmentés par la soif s’approchent du fleuve, se penchent sur l’eau. Ils sont quatre maintenant, à cause de leur reflet. Comme c’est rassurant, de n’être plus deux ! Chacun contemple l’image de l’autre et reçoit la douceur, la fraîcheur de ce double dont le sépare une eau limpide. En suivant la ligne de leurs regards, on dessinerait une croix. Ah ! lorsque les rayons croisés de l’amitié traversent un être, n’est-ce pas qu’elle est apaisée, la soif du cœur ?

— Le cœur i Nous l’attendions ! Et l’âme aussi, n’est-ce pas ?

— Mais oui, l’âme. Nierez-vous qu’elle existe ?

— Mon Dieu, personne ne nie, personne n’affirme. Ce serait trop facile. Trop rassurant aussi. Mais tout de même ton âme, dont tu parles tant, pour qu’elle soit satisfaite, il lui faut de beaux yeux à contempler, de beaux cheveux, hein ? à caresser, une jolie peau… Hein ? ton âme, est-ce qu’elle aimerait l’autre chère âme, dans un corps contrefait ?

« Je sais ce que tu vas dire. Il y a un être, dont le corps est dissous, auquel tu conserves pourtant un amour unique. Mais encore, à quoi est-il suspendu, cet amour ? Au souvenir d’une voix, d’un parfum, à la forme d’une main… Lorsqu’elle te fait défaut, cette mémoire des sens, ne sens-tu pas que tu as tout perdu, pauvre Antoinette ?