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TROIS PARMI LES AUTRES

arrêté devant un hangar. Il se retourna. Ce n’était pas le jeune homme de la pharmacie.

Les chiens frétillaient de l’un à l’autre. Le garçon aux cheveux châtains regarda Suzon d’un air perplexe et curieux. Il avait des yeux clairs, à fleur de tête, baignés d’eau, des yeux de perpétuel enrhumé, un long nez droit et fort. Suzon trouva qu’il ressemblait à un bélier distingué. (« L’autre a une tête intéressante, mais il n’est pas sympathique. »)

L’autre, penché sur son moteur, l’avait à peine regardée.

— André, dit une voix qui semblait venir du ventre du tracteur, veux-tu me passer la clé anglaise ?

Suzon reconnut le timbre de cette voix, bien qu’elle n’eût plus cet accent joueur ni cette légère mollesse si séduisante qui laissait traîner les finales.

Elle regardait de toute son âme deux jambes de toile bleue pleines de cambouis et de boue, qui sortaient de dessous le tracteur.

— Tu vois quelque chose ? demanda le garçon qui avait une tête intéressante.

— Quelle ch...ie ! grommela la voix séduisante, pour toute réponse.

Suzon pensa qu’il était temps de s’en aller.

Mais Rigoletto, avec des gémissements d’allégresse, tentait de se couler entre la machine et le corps allongé. La voix gronda :

— Veux-tu me f… le camp ! Robert, tire-moi ce chien de là, il m’empoisonne ! Suzon, devançant Robert, saisit le bouledogue